Le code pénal tunisien se limite aux actes de corruption commis dans le secteur public, ne prenant pas en considération leur impact sur le privé La corruption ronge l'économie du pays. L'administration tunisienne, qui baigne dans l'opacité, en souffre depuis longtemps. Le secteur privé, dépourvu de cadre juridique, également. Ce qui a motivé l'ONG I Watch à en faire un sujet de débat, hier, à l'occasion d'un atelier sur l'absence de cadre législatif pour la lutte anticorruption dans le secteur privé. A l'ouverture, Mme Manel Ben Achour, jeune coordinatrice des projets au sein de ladite organisation, a justifié le choix porté à ce thème par le fait de voir la corruption miner la chaîne de production privée qui échappe à tout contrôle législatif. «On ne trouve ni mécanisme de lutte ni texte réglementaire pour l'incriminer», s'étonne-t-elle. Alors que la Tunisie, a-t-elle encore ajouté, avait ratifié, depuis 2008, la convention des Nations unies sur la lutte contre la corruption. Ce qui suscite des interrogations sur le sens de l'engagement et sur les initiatives de réforme qui semblent mises à mal, d'autant qu'un projet de loi sur le partenariat public-privé (PPP) est actuellement soumis à l'ARP. Comment faire, s'interroge-t-elle, pour lui favoriser un climat de saine émulation et de transparence ? S'agit-il d'un manque de volonté politique ? «On cherche, par là, à savoir et à comprendre, plutôt que de penser aux solutions», demande-t-elle. Pour répondre, M. Walid Fehri, conseiller des services publics à la présidence du gouvernement, a commencé par faire valoir l'effort consenti dans ce domaine et l'initiative entreprise en matière de renforcement de la transparence dans le secteur public. Mais, reconnaît-il, cela a été au détriment du privé. Le gouvernement a mis en place un système national d'intégrité qui veille au fonctionnement des marchés publics, de la douane, de la fiscalité... Sans pour autant oublier la modernisation des méthodes susceptibles d'asseoir la bonne gouvernance. En témoigne le système «Tuneps», une nouvelle application d'achat public en ligne. L'objectif étant, certes, d'éviter toute tentative de corruption ou de détournement de fonds. Car, la rupture de tout contact direct entre acheteurs publics et fournisseurs est de nature, du moins, à minimiser le volume des transactions déloyales. L'assouplissement des formalités administratives, la révision en cours du code de la douane et de la fiscalité, le projet de loi régissant les conflits d'intérêts, ainsi que celui portant sur la concurrence et les prix, relève-t-il, s'inscrivent également dans cette logique. Finalement, il vient de conclure que la corruption n'est pas une fatalité. «Le secteur privé est en mesure de donner l'exemple... Personne n'a la tutelle sur lui», indique-t-il. Vide juridique Pour M. Mouadh Mhiri, expert-comptable, c'est l'affaire de tous. De même que la corruption n'affecte pas uniquement l'administration publique. D'où l'intérêt qu'il y a d'agir ensemble dans le bon sens. Il a souligné que les citoyens ne sont pas uniquement des usagers de l'administration, ils sont aussi clients de banques, de compagnies d'assurances, d'écoles et d'universités privées, de groupes d'entreprises... «Ce secteur a son poids dans l'économie et est souvent objet de pratiques de corruption parfois à grande échelle, qui mettent à mal la transparence de son fonctionnement, pouvant aller jusqu'à hypothéquer l'avenir économique du pays», évoque-t-il, soulignant qu'il y a une corruption active et une autre passive. Mais, toutes deux aboutissent au même résultat. Il l'a défini ainsi : acte d'offrir, donner, recevoir ou solliciter quelque chose pour influencer une décision ou obtenir un avantage indu. Cela mène à dire qu'il n'y a pas raison de se pencher sur l'anticorruption dans le secteur privé, sans le doter des mécanismes juridiques contraignants. D'après lui, le code pénal tunisien se limite aux actes de corruption commis dans le public, ne prenant pas en considération leurs impacts sur le privé. Et de conclure que les lignes de défense consistent en trois mots clés : prévention, dissuasion et détection. M. Imed Memich, universitaire et expert auprès du Pnud, ne l'entend pas de cette oreille. De son avis, il y a différents textes législatifs qui, d'une façon ou d'une autre, criminalisent les fraudes et la corruption dans le secteur privé. Tel le code pénal qui doit être révisé afin de combler les lacunes qui y existent. Il évoque 16 failles à rectifier. Reste qu'un cadre législatif global et exhaustif devrait avoir lieu pour aider à combattre tout abus de pouvoir ou d'autorité. C'est là où le problème se pose avec acuité.