Comme nous l'avons écrit sur les colonnes de La Presse il y a peu, la crise de Nida Tounès déborde sur les institutions. Parlement, gouvernement et présidence de la République en pâtissent d'une manière ou d'une autre. Et ce n'est pas fini. Hier, les membres du groupe parlementaire de Nida ont évincé Abada Kéfi et Bochra Belhaj Hmida, respectivement, de la présidence de la commission de la législation et de la commission des libertés. Ils ont été remplacés par des affidés au clan Hafedh Caïd Essebsi-Ridha Belhaj. Et ce n'est pas encore fini. La manière expéditive avec laquelle ils ont été écartés tranche net avec leur profil. Aussi bien Bochra Belhaj Hmida que Abada Kéfi jouissent d'une notoriété on ne peut plus évidente. Ils ont joué les premiers violons dans la mobilisation en faveur de Nida, dès son irruption sur la scène et lors des élections législatives et présidentielle de 2014. Ils sont essentiels dans le processus de légitimation du parti auprès de larges franges de la classe moyenne, celle-là même qui a voté massivement en faveur de Nida. Désormais, la couleur est annoncée. Le clan qui a les faveurs tacites de l'establishment (présidence de la République et gouvernement) n'y va pas du dos de la cuillère. La lutte pour le pouvoir au sein de Nida est ouverte. Elle est âpre et cruelle, sans quartier au besoin. Mohsen Marzouk et Mohamed Ennaceur, respectivement secrétaire général et président de Nida, sont prévenus. Le message est clair : tu composes ou on te décompose. Ce qui explique qu'ils aient plutôt tendance, depuis quelques jours, à mettre de l'eau dans leur vin. Bien évidemment, en politique, l'évidence n'est pas la vérité, et vice-versa. Les deux clans se relaient dans les charges offensives, le repli et la contre-offensive. Le clan de Mohsen Marzouk avait ouvert le bal, notamment via la démission bruyante de Lazhar Akremi du gouvernement et les déclarations à l'emporte-pièce de Mondher Belhaj Ali. Peu auparavant, Mohsen Marzouk avait invoqué, lors d'un meeting à Sousse, la corruption, la «dérive dynastique» et la «mafiatisation» (sic) de la vie politique. L'interpellation des grands principes avait fait accroire aux séides de Marzouk que la partie était presque gagnée d'avance. Mais, ici comme ailleurs, il y a ceux qui ont des idées et il y a ceux qui ont de l'argent. Et l'argent est le nerf de la guerre. Et à Nida, c'en est bien une. Les moyens matériels faramineux mobilisés par le clan Hafedh Caïd Essebsi-Ridha Belhaj ont contribué énormément à cimenter leur esprit de corps. Ils disposent d'un réseau de solidarités multiples, d'une garde prétorienne et d'un corps de janissaires fidèles à toute épreuve. Leurs relais dans les médias sont plus pertinents que ceux du camp d'en face. Bref, c'est la mêlée. C'est la bataille de Verdun à Nida. Et cela ne semble guère définitif. Les rapports de force entre les deux clans sont précaires, interchangeables à tout moment. Au niveau de l'image, les deux clans perdent au change. Pour le citoyen lambda, c'est une guerre de tranchées pour les sièges, les fauteuils et les dignités. Hormis au tout début du conflit, il n'y a guère de clivage en vertu de choix politiques, économiques et sociaux, de quelque projet de société. Certains protagonistes et les moyens utilisés sentent le soufre. Des noms de personnes abonnées aux coups tordus émergent. A l'instar du mouvement Ennahdha lors de l'exercice de la Troïka, Nida Tounès est en voie de perdre la bataille morale et éthique. Ce n'est pas encore consommé mais un faisceau d'indices porte à le croire. Et pour les observateurs avertis, dans cette passe d'armes dans les entrelacs des feux amis, il n'y a que des perdants. Ce qui, pour le mouvement Ennahdha, aux aguets ou tirant les ficelles du jeu, tient du pain bénit.