La divulgation des noms des martyrs et des blessés de la révolution n'est pas pour demain bien que la secrétaire d'Etat ait promis de le faire avant le mois de novembre écoulé. Bloquée par les soupçons de fraude, Majdouline Charni réussira-t-elle à retirer de la liste les noms des faux blessés de la révolution ? Le mois de novembre s'est écoulé et la liste des martyrs et des blessés de la révolution n'est toujours pas divulguée au grand public, malgré l'engagement de la secrétaire d'Etat chargée du dossier. Les derniers rebondissements liés à ce dossier, reporté plus d'une fois par les instances judiciaires, sentent, pour le moins qu'on puisse dire, le roussi. C'est la secrétaire d'Etat, Majdouline Charni, qui vient de lever le voile sur un côté obscur du dossier, lequel, après bientôt cinq ans, continue d'être une boîte noire et de nourrir la polémique. Selon Mme Charni, sœur du jeune commissaire et martyr Socrate, la liste tant attendue et tant contestée des martyrs et des blessés de la révolution est pipée et n'est pas près d'être définitivement arrêtée et dévoilée en raison des doutes qui entachent certains noms y figurant et des malversations ayant touché l'opération d'inscription des martyrs et des blessés de la révolution, et ce depuis 2011. «La première mouture contenait 340 noms de martyrs, mais je peux confirmer que la situation de confusion d'après la révolution a été exploitée pour faire passer d'autres noms», affirmait Mme Charni en octobre dernier. Des jihadistes et des prisonniers Pourtant, la majorité des personnes inscrites, ou leurs familles, ont été indemnisées, soit «95%», selon la secrétaire d'Etat qui a affirmé récemment sur Nessma TV qu'il y a eu depuis 2011 des pressions et des interventions pour ajouter des noms qui n'ont rien à voir avec la révolution. Pas moins de 87 MD versés entre 2011 et 2014. Et d'ajouter : «Des dossiers ont été présentés à la justice et c'est elle qui va trancher». A titre d'exemple, Mme Charni a indiqué que trois personnes inscrites comme blessés de la révolution sont «partis au jihad en Syrie» et d'autres sont en prison. Dans le cas échéant, il faut savoir que ceux qui ont bénéficié des dédommagements avant que leurs noms soient retirés de la liste ne sont pas obligés de rembourser, mais ce ne sera pas le cas de ceux qui ont falsifié des documents et qui devront en répondre devant la justice. Difficile pour un membre du gouvernement de faire une telle révélation au sujet d'un dossier brûlant et amplement manipulé pour des intérêts ou calculs politiques. La preuve : aucun des différents gouvernements qui se sont succédé après la révolution n'a réussi à démêler l'affaire et à clarifier ses tenants et ses aboutissants. Ce n'est donc pas par hasard que l'affaire des martyrs et des blessés de la révolution de décembre 2010-janvier 2011 s'est enlisée dans les méandres judiciaires et médiatiques et qu'elle a beaucoup perdu de sa symbolique. On se souvient encore du scandale des faux certificats de maladie qui auraient été délivrés sous la pression. Déjà en 2012, l'inspection médicale relevant du ministère de la Santé avait signalé des centaines de documents falsifiés et signalé l'implication d'un médecin. A cette époque de la Troïka, le leader d'Ennahdha, ministre de la Justice et des Droits de l'homme, Samir Dilou, avait déjà signalé les abus, soulignant la présence, dans la liste, de noms de personnes non reconnues, après examen médical, comme blessés de la révolution. Les familles des martyrs et des blessés de la révolution, de leur côté, soutenues par des associations rejettent les accusations et expriment ouvertement, à travers des sit-in et des rencontres avec les médias, leur impatience de clore cette affaire et leur indignation face au doute qui pèse sur certains noms. Au cours de la dernière et récente conférence de presse, Lamia Farhani, sœur du martyr Anis Farhani et présidente de l'association « Awfia », a clamé haut et fort sa colère : «Bannir les noms de nos enfants de la liste des martyrs est la pire des humiliations», a-t-elle lancé. La justice tranchera La secrétaire d'Etat Majdouline Charni a lâché l'information à propos des prétendus blessés de la révolution se trouvant en Syrie ou en prison deux jours avant que l'avocate en charge du dossier des martyrs et des blessés de la révolution Leïla Haddad, soit convoquée par le procureur général à la Cour d'appel pour être entendue sur plusieurs plaintes déposées à son encontre, selon la TAP. Les plaignants ne sont pas moins que l'ancien ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou ; l'ancien ministre de la Défense nationale, Ghazi Jribi, et le procureur général près la Cour d'appel militaire. L'avocate est accusée d'avoir fuité des «documents classés secret» qu'elle aurait remis à un média tunisien. Autre plaignant : la secrétaire d'Etat Majdouline Charni, elle-même. A ce propos, Mme Charni s'est abstenue de donner des détails sur la question étant donné la confidentialité du dossier en cours d'examen par la justice. Elle dira tout de même que l'avocate va être entendue comme témoin dans certains dossiers. De son côté, l'avocate dénonce une tentative de marginalisation de son rôle aux côtés des familles et s'étonne de la plainte déposée par la secrétaire d'Etat avec laquelle ses «contacts sont permanents». Ainsi, interrogations et suspicions planent sur cette affaire qui a fait couler beaucoup d'encre et fait l'objet de manipulations politiques et de surenchères. Près de cinq ans après les événements de 2010-2011, les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête de l'Etat, y compris ceux de la Troïka, n'ont pas pu achever cette liste et en révéler le contenu dans la transparence, repoussant à maintes reprises la date de la sortie de la liste. Ceci sans oublier les nombreuses parties intervenantes dans cette affaire et les tergiversations qui ont entravé le processus et l'avancée du dossier. A noter, par ailleurs, que les familles des martyrs et des blessés de la révolution et les associations qui les soutiennent avec d'autres représentants de la société civile refusent que leurs dossiers soient examinés par un tribunal militaire, sous prétexte que la justice militaire n'est pas indépendante, et revendiquent par conséquent la création de chambres spécialisées civiles. Le dossier des martyrs et des blessés de la révolution est resté trop longtemps en suspens au point que plus personne n'en parle ou n'en fait un cas urgent et que d'autres en doutent. A cause des non-dits, des surenchères et une très mauvaise communication basée sur l'alarmisme et la victimisation à outrance, qui ont fini par rendre les choses plus compliquées et entraver le chemin de la vérité, la fermeture de ce dossier n'est, semble-t-il, pas pour demain. Majdouline Charni a du pain sur la planche à condition qu'elle prenne son courage à deux mains et qu'elle soit politiquement épaulée pour ouvrir en public le dossier des blessés de la révolution afin que justice et dignité soient rendues aux vrais «révolutionnaires» et que les opportunistes soient débusqués. Mais une chose semble être sûre : considérant le contexte de guerre contre le terrorisme que vit le pays et la décision prise pour ne pas faire de distinction entre martyrs et blessés de la révolution d'un côté, et martyrs et blessés du terrorisme de l'autre, la liste restera malheureusement ouverte jusqu'à nouvel ordre.