La question fait actuellement grand bruit. Des Tunisiens vont jusqu'à vendre leurs organes pour faire face à certaines conditions économiques et sociales. Le phénomène ne date pas d'aujourd'hui, mais avec le développement des usages des réseaux sociaux, il a pris une plus grande ampleur, impliquant des réseaux de trafic d'organes internationaux. Le dossier a été récemment ouvert lorsque le ministère public a pris connaissance qu'un Tunisien a été impliqué dans une affaire de trafic d'organe dans le cadre d'un réseau s'activant entre la Tunisie et la Turquie. En effet, ce Tunisien a décidé de vendre son rein contre une importante somme d'argent en devises, tout en contournant la loi turque en épousant une proche de la personne qui avait besoin du rein. La législation turque, notons-le, autorise le don d'organe entre les membres d'une même famille. Sauf que pour l'Instance nationale de lutte contre la traite des personnes (Inltp), il s'agit d'un crime organisé passible d'une peine d'emprisonnement d'autant plus que la loi tunisienne interdit strictement la vente d'organes. «L'homme a voyagé en Turquie, où il a subi une opération chirurgicale, pour vendre son rein», explique dans ce sens Raoudha Laâbidi, présidente de ladite instance. Mais selon des sources judiciaires contactées par La Presse, le cas de ce jeune Tunisien révèle en effet l'existence d'un réseau de trafic d'organes international. Ce réseau, explique-t-on, permet à des Tunisiens de se déplacer à l'étranger et de vendre leurs organes tout en prenant en charge tous les frais de leur déplacement et leur hébergement. «Au fait, ce sont des réseaux qui investissent dans la faiblesse et la précarité de certains Tunisiens. On leur propose tout un voyage organisé qui finit par une opération chirurgicale dans des cliniques privées pour prélever leurs organes. Ils sont d'ailleurs exposés à tous les risques. Ces réseaux sont organisés, structurés et optent surtout pour les réseaux sociaux», a-t-on expliqué. Or pour Raoudha Laâbidi, l'argent qui a servi de moyen de paiement de ces opérations illégales doit être confisqué en Tunisie. «Le Tunisien qui a vendu son rein contre la somme de 15 mille dollars va voir son argent saisi, car il s'agit d'un crime», a-t-elle insisté. Elle explique que la justice et la police sont chargées de l'affaire et que l'enquête se poursuit pour déterminer si ce dernier est «accusé ou victime», insistant sur le fait que même si le crime a eu lieu à l'étranger, le parquet est appelé à saisir l'argent de cet individu. Un cas isolé ? S'agit-il d'un simple cas isolé qui ne reflète pas l'existence d'un tel fléau en Tunisie ? Le phénomène de trafic d'organes existe bel et bien en Tunisie en dépit d'un cadre légal qui réglemente le don et la transplantation d'organes et qui interdit strictement toute opération de vente de ces organes. Toujours selon les sources judiciaires précitées, le parquet avait saisi plusieurs affaires de ce genre durant ces trois dernières années impliquant toutes des réseaux internationaux. On souligne en particulier le rôle des réseaux sociaux dans ces opérations criminelles. Pourtant, l'ancienne directrice générale du Centre national pour la promotion de la transplantation d'organes, Rafika Bardi, avait démenti l'existence de tels réseaux en Tunisie. Selon elle, la Tunisie est l'un des rares pays où le trafic d'organes est inexistant. En Tunisie le prélèvement et la greffe d'organes sont soumis aux dispositions de la loi loi n° 91-22 du 25 mars 1991. L'article 6 de cette loi interdit de procéder aux prélèvements moyennant une contrepartie pécuniaire ou tout autre forme de transaction. Les infractions aux dispositions de cet article entraînent des peines d'emprisonnement allant jusqu'à cinq ans. La loi stipule également que les prélèvements et les greffes ne peuvent être effectués que dans les établissements publics hospitaliers autorisés à cette fin par arrêté du ministère de la Santé publique. En Tunisie, l'organisation générale du prélèvement et de la greffe d'organes et de tissus est sous la responsabilité du Centre national pour la promotion de la transplantation d'organes (Cnpto). Ce centre est appelé, dans ce sens, à tenir un registre central, une sorte de liste d'attente sur laquelle sont inscrites les personnes dont l'état de santé nécessite une greffe d'organes et de tissus. Ladite loi qui régit le prélèvement et la greffe d'organes humains sur le cadavre et le donneur vivant stipule qu'un prélèvement ne peut avoir lieu qu'après constatation de la mort encéphalique, c'est-à-dire l'arrêt de la perfusion cérébrale, qui entraîne la disparition de toutes les fonctions cérébrales puis la destruction irréversible du cerveau. Le personnel médical vérifie tout d'abord la carte d'identité nationale (CIN) du donneur cadavérique s'il est mentionné qu'il est «donneur», le personnel prévient la famille qui ne peut s'opposer au prélèvement. Si aucune mention ne figure sur la CIN, on demande alors l'accord indispensable de sa famille. Alors que la transplantation d'organes connaît un essor considérable grâce à l'évolution des techniques médicales et à l'augmentation de l'espérance de vie des patients greffés, elle demeure encore sujette à caution au sein de la société tunisienne. En effet, une des raisons principales qui poussent les familles du défunt à refuser le don, c'est justement la crainte que ces organes n'alimentent un éventuel trafic. D'après les chiffres du Centre national pour la promotion de la transplantation d'organes (Cnpto), 42% des Tunisiens sont, en effet, convaincus qu'il y a un trafic d'organes à l'échelle nationale. Par ailleurs, toujours selon le Cnpto, 44% des Tunisiens sont contre le don d'organes après la mort.