Une leçon de journalisme et de ‘'poétique'' Bernard Pivot renoue avec ‘'ces petites choses qui permettaient aux lecteurs de respirer entre les longs articles'', d'une part, et avec l'universalité de ces instantanés japonais tout d'émotion et de poétique, d'une autre. Deux écritures (journalisme et haïkus) qu'il estime avoir ‘'largement précédé les tweets''. ‘J'aime les tweets parce qu'ils partent en silence, circulent en silence et arrivent en silence. Les tweets sont des chats'', atteste Bernard Pivot en prenant clairement parti pour ce vecteur désormais incontournable de la nouvelle communication, menée tambour battant par les réseaux sociaux où des milliards de citoyens du monde se rencontrent tous les jours virtuellement. Une adoption qu'il justifie par un argument au centre de la logique de Twitter : ‘'Ecole de la concision, Twitter exige de ses rédacteurs que leurs messages ne dépassent pas les 140 signes (unités de base composant un texte). Tous les élèves des écoles de journalisme devraient en être des pratiquants.'' Permettre aux lecteurs de respirer Il y a un antécédent à cette attitude. Car, remontant à ses origines professionnelles de journaliste, Pivot dédie cet ouvrage à son rédacteur en chef au Figaro Littéraire au début des années ‘60 : ‘'C'est lui qui m'a appris à faire court : des informations en 2 ou 3 lignes, des échos en 4 ou 5, des billets en 10. Débutant, je devais rédiger les petites choses qui permettaient aux lecteurs de respirer entre les longs articles. Même si j'avais hâte de prouver que j'avais aussi du souffle, j'aimais beaucoup cette manière d'écrire, économique, précise, ramassée, sèche.'' Il ne s'arrête pas là. Fidèle à sa curiosité d'homme de lettres, il a fait ses recherches et découvert que le tweet se pratiquait depuis longtemps sans que nous en soyons conscients, comme le monsieur qui faisait de la prose sans le savoir. Un exemple : Pivot cite le premier article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen paraphée le 26 août 1789 qui atteste que ‘'Les hommes naissent libres et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.'' Pour l'auteur, ce n'est rien de moins que le premier tweet républicain français car le texte ne fait que 136 signes. Dans un cas comme dans l'autre, il se présente comme un converti : ‘'S'exprimer en peu de mots ne signifie pas que le souffle est court et le pas économe. Cela signifie que l'on va vite à l'essentiel'', tweete-t-il. L'instantané d'une émotion En toute honnêteté, Pivot prend également soin de citer la culture japonaise où ‘'Les haïkus ont largement précédé les tweets'', rappelle-t-il. Avec le même principe : c'est un instantané véhiculant une émotion. Car ce terme créé par le poète Masaoka Shiki mais dont la paternité est au poète Bashō Matsuo (1644-1694) implique une forme de poétique particulièrement codifiée, où on ne se contente pas de décrire les choses, mais on s'impose de s'en détacher. Il traduit, le plus souvent, une sensation. Il est comme une sorte d'instantané. Il traduit une émotion, un sentiment passager, il ne se travaille pas, il est rapide et concis. Il n'exclut pas l'humour, les figures de style et il doit pouvoir se lire en une seule respiration. Voici un exemple, écrit par le maître classique Basho : ‘'Un vieil étang et Une grenouille qui plonge, Le bruit de l'eau.'' Un tweet en bonne et due forme, s'arrêtant sereinement devant la barrière des 140 signes ; ce qui fait dire à Pivot quelque part dans cet ouvrage agréable à lire, allant à l'essentiel sur certains points choisis : ‘'Ce jeu m'inspire et me divertit. Les jeunes gens ont bien raison de puiser le meilleur dans ce que nous leur léguons. Pourquoi les vieux s'interdiraient-ils d'utiliser avec fantaisie ou gravité les plus géniales inventions des nouvelles générations ? Avec ses 132 caractères, cette dernière phrase pourrait bien être un tweet.'' L'ouvrage ‘'Les tweets sont des chats'', 160p., mouture française Par Bernard Pivot Editions Albin Michel, 2013 Disponible à la Librairie al Kitab, Tunis