« L'Etat œuvre à la réalisation de la justice sociale, du développement durable, de l'équilibre entre les régions, en se référant aux indicateurs de développement et en s'appuyant sur le principe de discrimination positive ». Article 12 de la Constitution. Cinq ans après et les mêmes maux subsistent toujours. Huit gouvernements et trois présidents, depuis le 14 janvier 2011, et les causes qui ont provoqué la chute de l'ancien régime ont empiré. Le chômage des jeunes a augmenté, les disparités régionales et les inégalités sociales sont devenues plus criardes, l'économie nationale est exsangue, le pouvoir d'achat s'est dégradé et le pays est assis comme sur un volcan. Tout est parti d'un geste, celui d'un jeune chômeur mort électrocuté devant le siège du gouvernorat de Kasserine, alors qu'il escaladait un poteau électrique pour crier sa douleur contre le chômage, sa colère contre le népotisme et la corruption et son rejet d'une classe politique empêtrée dans ses problèmes internes et complètement déconnectée de la réalité et d'une élite de salons et de plateaux de télévision. Et contre un gouvernement qui n'a pas de « baguette magique », pour reprendre les propos de son nouveau porte-parole. Des ingrédients qui ne peuvent qu'engendrer des éruptions de violences dans des régions minées par l'absence de cap et de projets. Des mouvements de protestation qui se sont propagés telle une tache d'huile pour toucher plusieurs autres régions souffrant des mêmes maux, mettant ainsi le gouvernement devant de lourdes responsabilités. Ils ont dégénéré en émeutes par des casseurs stipendiés par des « partis politiques et des parties malintentionnées et connues qui ont utilisé les protestations légitimes pour semer l'anarchie dans certaines régions », comme l'a déclaré le président de la République. Ou encore par « les barons de la contrebande et les terroristes », selon le porte-parole de l'Ugtt. De son côté, le chef du gouvernement Habib Essid qui est rentré de Paris avec la promesse « d'un plan de soutien d'un milliard d'euros à la Tunisie sur les cinq prochaines années », a tenu à rassurer les Tunisiens que « la situation est maîtrisée », en attendant des mesures concrètes pour apaiser la colère des jeunes qui continue de gronder, malgré un calme précaire. Les jeunes, les plus touchés par le chômage Officiellement le taux de chômage actuel est de 15.2%. Mais c'est au niveau des régions que l'on relève beaucoup de disparités qui persistent toujours et s'aggravent d'une année à l'autre. Les régions du Sud et de l'Ouest du pays demeurent les plus touchées par le chômage avec des taux supérieurs à 20%. Avec environ 25%, le Sud-Est arrive en tête des régions les plus touchées, suivi du Sud-Ouest avec 22%, du Nord-Ouest avec 21% et du Centre-Ouest avec 20%. Alors que les régions du Nord-Est et du Centre-Est enregistrent des taux beaucoup moins élevés, soit 11% seulement. Les jeunes sont davantage touchés par le chômage et les 18-29 ans constituent plus de 70% des chômeurs, dont le nombre est estimé à 612.000 dont 242.000 diplômés de l'enseignement supérieur, selon les dernières statistiques officielles. Et ce sont les maîtrisards (ayant accompli avec succès quatre ans de formation universitaire) qui constituent plus de 56% du total des diplômés chômeurs. Ce qui pose de gros problèmes quant à la nature des diplômes et la capacité de l'économie nationale à créer davantage d'emplois. D'autant plus que le marché de l'emploi a subi de fortes pressions à partir de 2011. Les secteurs clés de production, comme les phosphates, ont connu plusieurs arrêts ayant entraîné une paralysie de l'économie du pays. En plus des coups durs subis par le secteur du tourisme qui ne s'en relèvera pas de sitôt. Avec un taux de croissance nul, on n'espère pas grande chose si l'on sait qu'un point de croissance pourrait créer entre 15.000 et 20.000 emplois. Les programmes d'emploi créés à partir des années 2.000, et qui ont permis à plusieurs milliers de jeunes de s'insérer dans la vie active, n'arrivent plus à satisfaire des demandes de plus en plus croissantes et à favoriser l'insertion des jeunes. La Tunisie est, depuis plusieurs années déjà, entrée dans une crise structurelle de son marché du travail. Les disparités entre les différentes régions du pays ont, depuis longtemps, constitué, un souci majeur pour tous les gouvernements, depuis les premières années de l'indépendance, sans pour autant arriver à mettre en place une véritable stratégie de développement. Au fil des années, elles se sont approfondies, au point de devenir criardes. Ce qui n'a pas été sans répercussions, puisque les mouvements sociaux qui ont, souvent, dégénéré en soulèvements et émeutes ont — depuis la révolte de Ali Ben Ghedhaham, menée en 1864 contre le pouvoir beylical — éclaté dans les régions déshéritées du Sud, du Centre et du Nord-Ouest. Mais l'approche a, toujours, été basée sur l'aspect « économiste », en escamotant « les aspects politico-institutionnels ». Pourtant, c'est la politique qui a, depuis les premières années de l'indépendance, tout guidé, traçant les grandes orientations dans tous les domaines et initiant les grandes réformes. La réussite scolaire biaisée par les disparités sociales Dans un rapport préparé par le laboratoire d'Economie et Sociétés Rurales, Institut des Régions Arides-Médenine, et publié en 2011, son auteur Ridha Béchir écrit, notamment, que « depuis des décennies, le développement du littoral en Tunisie a été préféré à celui de l'Ouest du pays. Les infrastructures routières étaient construites prioritairement pour relier la capitale avec les régions côtières de l'Est, en particulier le Centre-est et le Grand Tunis où se concentrent les industries à haute valeur ajoutée (tourisme, textile, etc.) et génératrices d'emplois ». Avec une infrastructure de base, inhibitrice et paralysante parce qu'elle ne s'est pas développée de manière soutenue, les régions de l'intérieur n'attirent pas les gros investisseurs tunisiens ou étrangers et les efforts d'investissement sont restés modestes eu égard aux énormes difficultés de transport. Les disparités sont, également, perceptibles au niveau d'autres secteurs, comme celui de l'éducation et de l'enseignement supérieur où la réussite scolaire est biaisée par les inégalités sociales. Selon un rapport de l'universitaire Hédi Zaiem sur « Les inégalités sociales et régionales dans l'enseignement supérieur », les disparités « prennent leur source dans les cycles inférieurs, à savoir l'école de base et le secondaire, et se révèlent clairement au niveau des résultats du baccalauréat ». La scolarisation massive n'a pas suffi à réduire les inégalités avec les régions et les gouvernorats de Jendouba, Kasserine, Kairouan, Tataouine, Sid Bouzid, Kebili, Gafsa et Siliana ont, souvent, figuré en bas du tableau de classement des résultats des examens nationaux et, notamment, le baccalauréat. Un bachelier de ces mêmes gouvernorats a très peu de chances d'accéder à une filière médicale ou d'ingénieurs qu'un bachelier de Tunis, de Sfax ou de Sousse. Trois indicateurs suffisent à illustrer ces inégalités. Un bachelier du Nord-Ouest, par exemple, a 0,7 % de chances d'accéder à une filière médicale contre une moyenne nationale de 1,7 %, et 6,3 % de chances d'accéder à une filière d'ingénieur contre une moyenne nationale de 8 %. « La probabilité d'être au chômage, au terme de ses études supérieures, varie de 14,6% pour un bachelier de Sousse jusqu'à 25,7% pour un bachelier de Gafsa ». La lutte contre les inégalités sociales commence par la mise en application de l'article 12 de la Constitution. « L'Etat œuvre à la réalisation de la justice sociale, du développement durable, de l'équilibre entre les régions, en se référant aux indicateurs de développement et en s'appuyant sur le principe de discrimination positive ».