Dans un contexte où l'économie nationale se délite en une dégradation continue depuis plus d'une décennie, la crise provoquée par le coronavirus aura projeté une lumière crue sur un écosystème devenu fortement obsolète. La nécessité de réformes systémiques s'impose désormais avec urgence. Engager des réformes en profondeur à tous les niveaux est la seule alternative qui s'offre au gouvernement pour redresser la barre. Le principal défi auquel l'économie tunisienne est confrontée est la mise en place des conditions favorables pour la placer, après la crise qui l'a accompagné depuis des années et qui se fait toujours ressentir, sur une trajectoire de croissance régulière et plus élevée que celle d'avant crise, tout en tenant compte de l'environnement international et de l'ampleur des passifs contingents. Le passage à un palier de croissance potentielle supérieur nécessite inexorablement la mise en œuvre de réformes structurelles qui favoriseront l'émergence d'une croissance inclusive et la préservation de la stabilité macroéconomique. Les réformes à engager sont multiples et touchent des pans entiers de l'économie. Parmi les réformes à engager, citons la réforme de la fiscalité, du code de l'investissement, du système de sécurité sociale et de prévoyance, des entreprises publiques et de l'administration, de subvention, de la politique industrielle, du marché de l'emploi, la restructuration du système national d'innovation, la stimulation de la concurrence sur le marché des biens et services, du système financier, etc. Des réformes en profondeur sont également incontournables pour rehausser le niveau de la croissance potentielle (système éducatif, transport, aménagement du territoire, système de santé, recherche scientifique, …), mais, à court terme, des mesures réglementaires et des actions sectorielles seront très bénéfiques pour une économie fortement fragilisée par les tergiversations politiques. Elles sont à la fois bénéfiques pour assainir le climat des affaires et pour corriger les dysfonctionnements macroéconomiques. Refonte du modèle de développement A l'instar du reste des pays du monde, la crise de la Covid-19 a porté un coup dur à l'économie tunisienne qui peinait, bien avant cette pandémie, à s'inscrire dans une dynamique positive et à entamer une véritable relance de l'économie. Faute de réformes structurelles, qui tardent à voir le jour, le pays reste encore en proie à un modèle essoufflé qui a déjà montré ses limites. Selon l'Agence de notation financière PBR Rating, les efforts du gouvernement tunisien face à la pandémie de la Covid « ont immédiatement porté sur le traitement des carences du système sanitaire et sur les transferts sociaux afin d'amortir le choc économique et social d'un confinement général trop coûteux. Ces efforts ont permis de juguler la propagation du virus. Néanmoins, les séquelles de l'arrêt de l'activité économique sont déjà visibles et devraient s'accentuer durant les prochaines années ». Pour redémarrer, le pays a besoin d'une refonte de tout son modèle de développement et de création de valeur. « La crise actuelle, tout en exacerbant les maux dont souffre l'économie tunisienne, offre cependant de formidables opportunités et une urgence dans la mise en place des plans de restructuration, dont la Tunisie a besoin ». D'après une analyse macroéconomique élaborée par cette agence, la décennie 2010 – 2020 est loin d'être une satisfaction pour l'économie tunisienne. « La croissance économique du pays a connu des résultats décevants et n'a jamais pu afficher une reprise pérenne, à cause notamment de l'incapacité de l'Etat à mettre en place les réformes nécessaires pour instaurer un nouveau modèle économique, axé sur la création de valeur et sur une répartition plus juste des richesses. L'Etat continue à jouer un rôle prédominant, en dépit d'un déficit budgétaire et d'un endettement qui se sont élargis au fil des années ». Depuis 2011, la Tunisie a viré vers un mode de production non marchand, boosté par une série inédite de revalorisations salariales et d'augmentations des effectifs administratifs, notamment sous une pression sociale de plus en plus importante. Cette tendance a engendré progressivement des carences en termes de financement de l'économie (l'Etat, consommant des ressources pour distribuer des salaires, a privé les entreprises de moyens d'investissement), de création de postes d'emploi et de compétitivité internationale. Au cours de cette décennie, « nous assistons à une inadéquation complète des réponses de l'Etat face à l'essoufflement du modèle économique d'avant 2010 : des réponses court-termistes face à des problématiques de long terme, des réponses sociales face à des difficultés économiques et des instruments de gestion budgétaire et monétaire au lieu et place de stratégies et de réformes structurelles ». Fondamentaux socioéconomiques dégradés Selon la même source, les réponses, à caractère social sans réformes économiques, des pouvoirs publics tunisiens sont de nature à aggraver la crise « avec un expansionnisme monétaire et budgétaire et une hypertrophie des dépenses (à caractère non productif), consolidée par une augmentation de la pression fiscale et financière sur les acteurs organisés et productifs du système ». Une politique qui a eu pour conséquence une perte de productivité marginale des entreprises, une forte inflation, une importante perte du pouvoir d'achat, un manque des ressources financières (pour les entreprises et les ménages), ... constituant ainsi les prémices d'une profonde crise économique et sociale. Ainsi, à chaque nouvelle crise, les besoins de liquidités et d'injection de fonds nécessaires au financement des mesures sociales et budgétaires sont toujours de plus en plus importants, à mesure que le gouffre financier entre performances économiques réelles et besoins sociaux s'intensifie, mettant ainsi en lumière le coût des non-réformes structurelles. Tout au long de cette période, les fondamentaux économiques et sociaux se sont dégradés, les solutions et réponses étaient inadéquates en l'absence de planification et d'exécution de réformes structurelles pour y remédier. De même, « les principaux moteurs de la croissance tunisienne semblent quasiment à l'arrêt, avec une demande interne en berne, faute de pouvoir d'achat et d'inadéquation avec l'offre locale, une absence d'investissement à cause notamment des conditions de financement actuelles et des difficultés sur le plan des exportation, car trop dépendantes d'une demande externe qui tarde à reprendre et sans valeurs ajoutées significatives, lui permettant une meilleure résilience durant les périodes de crises ». Réinsuffler l'espoir d'une relance économique La Tunisie traverse un moment économique, social et politique très critique de son histoire. Une instabilité qui a été grandement engendrée par un important coût de non-réforme structurelle depuis plus de 10 ans et accentuée par l'impact de la crise de la Covid-19 et ses répercussions sur le plan national et international. « Les orientations mises en œuvre depuis 2011 et la gouvernance budgétaire, aujourd'hui en décrépitude, sont à la base de la crise économique et sociale tunisienne ». La situation risque même de s'aggraver si le pays ne parvient pas, dans le cadre d'un dialogue national, à réunir un consensus viable sur les grandes réformes et les grandes restructurations et leur calendrier de réalisation afin de réinsuffler l'espoir d'une relance économique sur des bases durables et inclusives durant l'étape à venir. « La Tunisie n'a d'autres choix que de corriger les distorsions, libérer les énergies latentes, restructurer en profondeur les finances publiques et les grandes entreprises de l'Etat. Les appréhensions sociales sont, certes, légitimes. Elles peuvent être, considérablement, réduites moyennant des programmes d'accompagnement sous forme notamment de mise en place de filets sociaux pour ceux qui perdent à court terme leur emploi ainsi que de renforcement des programmes de soutien en faveur des familles nécessiteuses. Alors que l'activation du partenariat public-privé pourrait réinsérer la Tunisie dans le radar des grands investisseurs tunisiens et étrangers et renforcer l'efficacité des réformes engagées ».