Par Bady BEN NACEUR On ne commémore plus nos martyrs dignement. La commémoration de feu Chokri Belaïd, assassiné le 6 février 2013, n'aura pas eu lieu sur la grande avenue Habib-Bourguiba, comme prévu. Samedi dernier, on aura fermé tous les accès, non seulement à cette avenue bardée de fils barbelés et forte d'une armada de jeunes flics armés jusqu'aux dents mais, aussi, à ceux — par l'ex-rue de Yougoslavie — menant à la salle du Rio où l'on devait fêter ce grand martyr de la révolution tunisienne, assassiné politiquement pour ses idées généreuses de liberté, de fraternité, d'égalité et de dignité. Le ministère de l'Intérieur, ce gros furoncle qui mine ce centre-ville, depuis de longues décennies, a, maintenant, des accents de répression de plus en plus intolérables qui nous rappellent des drames anciens et qui vont à l'encontre des articles de la Nouvelle Constitution souscrivant aux droits de manifester librement dans le calme et la dignité, comme le font tous ces mouvements sociaux à travers leurs manifestations populaires et leurs sit-in, depuis l'enclenchement de la révolution du 14 janvier 2011. C'est eux qui, chaque fois que la démocratie est en danger, se réunissent dans cette aire de grandes exaltations pour «forcer le destin» dans un esprit très Chebbien. Ils sont majeurs et vaccinés et ils connaissent bien — et combien ! — qu'ils se doivent de se tenir à l'écart de toute violence exagérée ou de quelque perturbation que ce soit dans la vie tranquille des riverains de cette avenue. Personnellement, votre humble serviteur qui, plus est, handicapé d'un pied, aura eu un mal fou à tourner en rond, depuis la grande horloge — en taxi, durant une bonne heure —, pour tenter de rejoindre la salle du Rio où devait se produire sur scène un acteur sublime, directeur du théâtre Toursky à Marseille : Richard Martin, pour commémorer Chokri Belaïd à sa manière, une performance à partir du fameux texto de Léo Ferré «La méthode». Un texto qui fustige la dictature et les formes arbitraires des assassinats politiques. Mais on nous avait bloqué toutes les issues et, contrariés et dépités, nous avons dû rentrer bredouilles, chez nous, dans la banlieue nord. Trop de sécurité tue, messieurs de la gouvernance, et vous auriez mieux fait de laisser ces milliers de citoyens passer qui avec leurs voitures pour aller se garer, quelque part, qui à pied et envers qui de jeunes apprentis de la flicaille, se prenant pour les maîtres de céans, se mettaient à proférer des insultes innommables. On avait annoncé cette manifestation culturelle et artistique deux jours à l'avance. Dans les journaux, à la radio, à la télé. Mais en vérité, cette démonstration de force nuit à l'image même de cette jeune Tunisie révolutionnaire et que l'on ne cesse de fourvoyer et de malmener. Quand on pense au danger — peut-être imminent — qui nous guette depuis la frontière libyenne, on devrait s'unir au lieu de nous parcelliser et fragmenter : nos amis : Habib Belhadi qui fait beaucoup pour le quatrième art et les passerelles en Méditerranée. Richard Martin qui fédère, depuis plus de trente ans, les théâtres de la Méditerranée et d'ailleurs, auront, à coup sûr, gagné le pari de cette manifestation de «circonstance», faut-il le rappeler. Même si on les aura empêchés. qu'on se le dise. Chokri Belaïd restera toujours dans nos mémoires que l'on cherche à atrophier. Et un jour, toute la vérité sur son assassinat reviendra à son fait de départ, comme ce boomerang jeté au loin et que l'on croyait ne plus revenir. Oui, Chokri Belaïd est dans les esprits et les cœurs de tous ceux et celles qui ont adhéré à ses idées de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité humaine. Il fut un grand avocat de la cause du peuple. Et, assurément pas celle du diable.