Inutile de perdre du temps dans les discussions stériles, genre la poule et l'œuf ou bien concernant le sexe des anges. Les faits sont là, avançons, sinon nous risquons de tomber. Cela fait presque deux mois que le pays est en train de flotter, alors que, dans notre époque, qui ressemble à une gigantesque bourse, chaque seconde et chaque mouvement des yeux comptent. Flottement et dérive illustrent à merveille le cas du navire Tunisie qui va boucler deux mois de mesures exceptionnelles décrétées unilatéralement par le Président de la République, ayant paralysé tous les rouages de l'Etat qui, sans vrai gouvernement, risque de ne plus honorer ses engagements. Ayant déclaré, le 25 juillet dernier, sa décision de présider le conseil des ministres, le chef de l'Etat est devenu, de ce fait, le chef du gouvernement, comme c'est le cas dans un régime présidentiel. Il aurait dû nommer son équipe et commencer à résoudre les problèmes urgents auxquels le pays est confronté, surtout ceux à caractère économique et social qui ne peuvent plus attendre. Mais Saïed a choisi d'affronter ses adversaires, au lieu d'affronter les vrais problèmes, et a préféré dévier de son chemin tel que tracé par la Constitution. Celle-ci fait de lui, en effet, le symbole de l'unité du pays (Art.72). Or, qui dit unité dit un chef qui sait rester au-dessus de la mêlée et sait jouer un rôle fédérateur et d'arbitre, le cas échéant. Son discours, tant attendu, il l'a enfin prononcé, lundi soir. Mais le Président n'a pas dérogé à sa propre règle, entrer en polémique avec ses adversaires (détracteurs) qu'il considère comme des ennemis à abattre. Nous avons eu droit, grâce à son art oratoire d'un autre âge, à l'exhibition de la grosse artillerie discursive pour les dénoncer et tenter de les abattre ou encore à essayer de justifier les mesures qu'il a prises le 25 juillet dernier. Une sortie ratée aussi bien sur le fond que sur la forme qui n'a fait qu'accentuer les craintes légitimes de toutes les forces vives de la nation, celles qui connaissent ce qu'est la politique, l'Etat, l'économie, et autres. Craintes pleinement justifiées quant à l'avenir du pays surtout si l'on sait que l'Etat risque facilement de ne plus pouvoir payer ses agents, que dire alors de ses créanciers. Ce qui fait vraiment mal au cœur. Au lieu d'une adresse à la Nation, nous avons eu droit, en effet, à un meeting politique organisé pour un chef de parti que l'on ne laisse pas s'exprimer, tellement l'assistance était indisciplinée et surexcitée. A cela est venue s'ajouter une retransmission télé, catastrophique et voilà que l'Etat tout entier s'est vu malmené. Une improvisation inadmissible et impardonnable. Aucun mot sur la situation du pays, les défis auxquels nous sommes confrontés, et la faillite qui nous attend. Juste un mot sur la prorogation des mesures exceptionnelles, ainsi que l'organisation provisoire des pouvoirs. Lire dissolution de l'Assemblée des représentants du peuple et suspension de la Constitution. La première pourrait l'être d'office si la justice décide d'annuler les résultats des législatives de 2019 pour cause de crimes électoraux dont la majorité est accusée, la seconde, elle, n'est pas possible. Obsédé par un régime présidentiel fort, Saïed est en train d'ouvrir des chantiers qui prennent beaucoup de temps et d'énergie et qui nécessitent un travail de fond quant au développement de la culture politique des électeurs. Il est porteur d'un projet qu'il veut coûte que coûte appliquer et sans l'avis des autres. Saïed et le dialogue, deux mondes à part. Il a, d'ailleurs, constitué depuis son élection un frein au bon fonctionnement des rouages de l'Etat, surtout face au gouvernement car il n'accepte pas les dispositions de la Constitution qui répartit les tâches et donne une indépendance à plusieurs instances. «C'est moi qui commande» est sa devise. Son opposition à Ennahdha, qui est tout a fait légitime et justifiée, n'est pas suffisante pour expliquer tout cet acharnement contre le bon fonctionnement de l'autre tête de l'exécutif, qui n'est responsable, rappelons-le que devant le Parlement. Pouvant présider tout conseil des ministres et aussi, en tant que président du Conseil de la sécurité nationale, il aurait pu agir sans recourir à l'article 80 dont il a tordu le cou. Même l'ex- président Béji qui se voulait un démocrate, avec un passé de militant pour cet idéal, y a succombé. Son mandat (2014-2019) a été, en effet, le reflet fidèle de cette calamiteuse phrase. Il a d'ailleurs exprimé clairement cette injonction en avril 2011, lors d'un meeting, alors qu'il n'était que le simple premier ministre provisoire d'un président provisoire, devenu chef de l'Etat de fait après l'abolition, début mars 2011, de la constitution de l'époque et la dissolution des chambres du pouvoir législatif. Le défunt président avait, en effet, et tout au long de son mandat, essayé par tous les moyens de dominer le gouvernement créant ainsi de fortes tensions au sein de l'Etat, avec des conséquences néfastes sur le processus de transition démocratique et sur l'économie. Bref, le peuple et son appareil productif sont en train de payer les pots cassés d'un bras de fer à base idéologique, et de choc des ego, alors que le pays a besoin de responsables compétents et intègres capables de faire un diagnostic et de résoudre les problèmes.