Le drame survenu dans un lycée avant-hier à Ezzahra jette un pavé dans la mare et démontre à quel point il est impératif de restaurer l'honneur et la dignité de la fonction d'enseignant dans les établissements de la République. Il est neuf heures du matin hier, un réveil sans doute difficile pour les lycéens les plus téméraires qui doivent se rendre à leur établissement éducatif, pour finalement se rendre compte de la tenue de la grève présentielle de leurs enseignants. Le drame en milieu scolaire à Ezzahra la veille démontre, une fois de plus, la décadence du système scolaire tunisien. Pour rappel, un jeune de dix-sept ans a attaqué un enseignant « au couteau et à la hache » dans un lycée d'Ezzahra et créé une consternation et une confusion générale avec comme première réaction, du côté des enseignants, le mot d'ordre de grève pour le mardi 9 novembre 2021. Le lycée Menzah VI ne fait pas l'exception et observe une journée de grève conformément aux recommandations de leur syndicat, la Fges. A quelques encablures du lycée, des jeunes filles attendent patiemment le bus de transport scolaire devant les ramener chez elles au grand dam des parents. Malgré tout, il n'y a pas foule puisque les enseignants sont aux abonnés absents à l'intérieur de l'enceinte scolaire quasi-déserte hormis quelques lycéens qui déambulent d'une salle à l'autre pour étouffer leur malaise. L'un d'eux âgé de 17 ans qui ne rejoint pas ses deux camarades qui ont pris un taxi admet le grand tort qu'on a fait subir au professeur d'histoire-géographie à Ezzahra. Les dommages collatéraux se font sentir et la situation a pris de l'ampleur dans la confusion générale quant à la reprise des cours ou les décisions à prendre par plusieurs parties. Pour éclairer notre lanterne, Mohamed R.H., enseignant de sciences physiques, a bien voulu donner une opinion globale sur ce qui ne marche plus dans le système scolaire tunisien et l'impératif de sortir de cette confusion générale où toutes les parties sont perdantes. On ignore, à l'heure où nous rédigions ces lignes, le taux de réussite de la grève supposée prudentielle (sic !) mais elle semble en voie d'être réussie à 100% du moins du côté du lycée Menzah VI où les enseignants sont à l'unisson et se réunissent sans doute à huis clos pour décider de ce qui doit advenir. Défendre l'école publique Cet enseignant titulaire du ministère de l'Education depuis plus d'une décennie, avant même l'avènement de la révolution du 14 janvier 2011, fait une analyse accablante du système éducatif national en perte de vitesse, qui plus est n'a connu aucun plan de réforme jusqu'à ce jour. Il résume sur un ton nuancé et réaliste : « La situation du système éducatif va en se dégradant. J'ai enseigné dans le sud tunisien et désormais j'enseigne au cœur de Tunis. Cela dit, alors qu'il y a un manque important de cadres éducatifs, le ministère ne prend pas les mesures nécessaires pour recruter des enseignants au motif qu'il n'y a pas de moyens. En recourant aux suppléants, le problème n'est pas résolu puisque cela leur permet seulement d'assurer le paiement de salaires provisoires et intérimaires qui sont moins conséquents. L'infrastructure et les équipements scolaires sont dans un état déplorable. Les fenêtres sont cassées, les tables et bancs anciens, les tableaux noirs non fonctionnels.» Depuis des années, on blâme les enseignants et on adresse des critiques acerbes à ceux qui gèrent différemment leur temps de travail avec les cours particuliers et le favoritisme dans l'attribution des notes, mais qui ne représente qu'une « minorité », insiste-t-il, avant de développer : « Le système éducatif s'est dégradé depuis qu'on a supprimé l'examen d'accès au collège, surtout lorsque l'on connaît la valeur du concours dans l'éducation ». Il remet en cause le dénigrement de la qualité de l'enseignement public tunisien qui a promu les deux cents premiers bacheliers et lauréats du bac 2021 tous issus du système éducatif étatique même si les lycées pilotes sont pour beaucoup dans la consécration de l'élite tunisienne. Cela, malgré l'augmentation du nombre d'écoles privées qui n'apportent pas le saut qualitatif tant attendu dans l'enseignement de base. Il y a là aussi un sentiment de confusion marqué par le dénigrement de l'enseignant à qui l'on demande honteusement « s'il appartient au système public ou privé », ce qui horripile notre interlocuteur au plus haut point. Il y a trop de dépassements qui nécessitent de restaurer l'image et l'honneur de l'enseignant pour améliorer son bien-être au travail : « le côté psychologique pour avoir l'état d'esprit requis, le côté pédagogique pour avoir un programme clair et le côté matériel indispensable pour exercer dans de bonnes conditions ». Il s'insurge contre son traitement d'égal à égal avec d'autres enseignants sous-qualifiés dans les traitements et salaires avec tout le respect qu'il leur doit. « Vous voulez que je me rende joyeux chaque matin au travail ? Quand l'enseignant n'est pas serein et ne trouve pas son compte, il ne peut pas donner le plus ». Les difficultés financières et matérielles des enseignants compliquent la situation avec toute une chaîne de créances et de crédits qu'ils doivent rembourser en permanence, de l'épicier du quartier aux professionnels des services, en passant par les interminables factures échelonnées. Les menaces de licenciement à l'encontre des enseignants suspectés de recourir au privé sont inacceptables de son point de vue. « Jamais aucun ministre de l'Education nationale n'a défendu l'intérêt des enseignants ! », conclut-il. Le directeur du lycée a daigné répondre favorablement aux questions qu'on devait lui poser au motif qu'il faut une autorisation ministérielle avant de communiquer et qui est de nature implicitement à garder le silence ou rompre la communication. De l'autre côté, le portail d'entrée est fermé à 10h00 par le gardien de l'établissement scolaire comme pour signifier que la journée est déjà finie. Triste réalité de l'école tunisienne d'aujourd'hui qui vit tous les maux et sombre dans les abysses des conflits internes entre les enseignants syndicalistes et les responsables ministériels d'une part et le rapport conflictuel entre l'enseignant et son élève avec des parents chagrinés et dépassés d'autre part... Le plus triste dans tout cela, c'est qu'en Tunisie, la réalité semble parfois dépasser la fiction et le commun des mortels en veut aux séries ramadanesques qui font l'apologie de la violence qui s'invite intra-muros dans les écoles tunisiennes, marquant un tournant dangereux dans le système éducatif national qui doit contrôler et punir de la plus forte manière ce genre d'agissements, tout en protégeant les lycées de représailles.