Si la foi et la croyance restent les éléments les plus importants, sur lesquels se fondent les formes traditionnelles et modernes de cette musicothérapie, dans ce spectacle modernisé, le 4e art est venu se greffer à ce rituel pour apporter une touche esthétique et artistique Un rythme endiablé, une musique transcendante, des costumes haut en couleur et une chorégraphie à cheval entre le théâtral, le rituel et le spirituel, c'est le nouveau spectacle «Lamasr Tounsi(*)» (le nègre tunisien) du dramaturge Mounir Argui qui redonne vie pour ne pas dire de l'espoir au stambali, culte afro-tunisien de possession, dont les officiants sont des descendants d'anciens esclaves noirs de l'Afrique subsaharienne. Tels des personnages habités par un «djin» qui vient de boire une panacée administrée par un vaudou haïtien, les spectateurs du Centre culturel Néapolis de Nabeul ont dansé, dimanche soir, dans le cadre des festivités du 60e anniversaire de l'Indépendance, aux sons d'une musique aux multiples facettes. Appelé «Gnaoua» au Maroc, «Diwan» en Algérie, «Makeli» en Libye, Stambali en Tunisie, mais aussi culte des «Orishas» à Cuba, «Candamblé» au Brésil ou «Rumbu» aux Îles Comores, ce culte témoigne de l'histoire d'une pratique thérapeutique et de la richesse d'un patrimoine musical qui s'est répandu au fil du temps sur la route de la traite négrière et le trafic oriental des esclaves noirs. «Du cultuel au culturel» «"Lasmar Tounsi" offre une nouvelle lecture du stambali à travers une touche théâtrale tout en préservant le mysticisme, la poésie et l'ambiance de fête et de transe de cette pratique négro-africaine», souligne le metteur en scène, Mounir Argui. «Or qui dit stambali dit «Yénna», le «Maâllem» (le maître de la cérémonie) qui grâce à son «guembri» (instrument caractéristique), un luth à trois cordes, établit un contact musical avec l'univers des esprits par la musique et les incantations et enveloppe ses compagnons par des pouvoirs syncrétiques et magico-religieux . Or, dans ce registre, il n'y a pas mieux que «Si Chedli Bidali, fils du grand «Yénna», Hamadi Bidali (87 ans) car l'accès au statut de «Maâllem» n'est possible que par la succession et sa notoriété est liée à la richesse de son répertoire», précise Mounir Argui. Entre enchantements musicaux et pouvoirs sacrés d'une musique hétéroclite, le «Guembriman» du spectacle «Lasmar Tounsi» nous a fait voyager dans un passé noir et sombre d'une communauté, qui malgré l'abolition de l'esclavage en 1846 par Ahmed Bey, est restée à la marge d'une société dont le racisme continue de défrayer la chronique. Si la foi et la croyance restent les éléments les plus importants, sur lesquels se fondent les formes traditionnelles et modernes de cette musicothérapie, dans ce stambali revisité, le 4e art est venu se greffer à cet univers ésotérique en lui apportant une touche moderne esthétique et surtout artistique. En passant du «cultuel au culturel», Mounir Argui plonge le stambali dans une nouvelle dimension tout en préservant son ADN via le personnage du mythique Bou Saâdiya et le jeu des chkachek (crotales, l'instrument le plus caractéristique de ce genre musical et qui renvoie vers le son des chaînes des esclaves noirs-Ndlr). Une Arifa revisitée Autre attraction phare de ce spectacle est le personnage d'«El Arifa», interprété majestueusement par l'artiste Chokri Jendoubi. Certes, généralement, ce statut est réservé aux femmes, mais là où interviennent le génie, la recherche et surtout l'audace de Mounir Argui qui, contre vagues et marées, place une homme dans le personnage d'un efféminé et dont la technique de danse et la gestuelle bien maîtrisées nous rapprochent étrangement de l'univers soufi des derviches. «Jadis dans certaines cérémonies de Stambali en Tunisie, on parlait de la présence d'hommes qui jouaient le rôle d' «El Arifa». Alors, en compagnie de Si Chedli Bidali, on s'est dit pourquoi ne pas oser et mettre un homme à la place d'une femme. Après tout, notre recherche nous a révélé l'existence d'hommes Arifas», ajoute Mounir. «Considérée comme la prêtresse du culte, celle qui détient le savoir, "El Arifa" a le pouvoir de communiquer avec les génies. Elle occupe le plus haut rang parmi les initiés. C'est elle que les patients vont consulter en premier pour qu'elle leur révèle l'origine surnaturelle de leur maladie. Au cours des cérémonies, elle incarne les divinités pour prédire l'avenir des fidèles». Outre la beauté des costumes, un mélange entre la «fouta et blouza» tunisoise et le «Boubou» (habit traditionnel porté par les femmes maliennes) et la richesse des couleurs de la culture africaine, Mounir Argui nous a raconté l'histoire de ces esclaves à travers différentes séquences de danses mimant le rituel de chasse à l'arc des tribus du Sahel africain et des scènes où les initiés reçoivent de la nourriture de la main de leur maître. Enfin si le spectacle a su intégrer la fougue de jeunes talents tels que Oumaima Cherif, Ahmed Tayaâ et le très prometteur chorégraphe, Mohamed Hammi, on ne peut pas passer sous silence la performance des musiciens et surtout celle des joueurs de «chkachek». Ces derniers, emboîtant le pas de leur «Yénna», ont su, selon les nouba, mettre le feu dans la salle, impulsant le rythme des autres percussionnistes sans tomber dans le «too much». Un spectacle à voir et à revoir. (*) Prochains rendez-vous du spectacle «Lasmar tounsi» : le 25 mars au Festival de la joie africaine, le 26 mars dans le cadre des 24 heures du théâtre à la Basilique du Kef, le 29 mars dans le cadre du Festival international du livre au Palais des foires du Kram, le 15 avril à Utique (gouvernorat de Bizerte) et le 23 avril à Monastir.