Ahmed Zitouni aurait pu couronner une brillante carrière au plus haut niveau, dans la grand-messe mondialiste de 1978. Malheureusement, quatre ans plus tôt, une blessure contractée dans un simple match de championnat allait emporter ce rêve et abréger hâtivement un joli parcours. «Cela était arrivé fortuitement, un peu par malchance. En janvier 1974, le Club Africain recevait le Sfax Railways Sport à El Menzah. J'ai effectué un slalom, côté droit, avant de transmettre le ballon. Juste dans mes pas, mon coéquipier Ali Rtima et l'attaquant railwayste Ezzeddine Chakroun se bousculaient furieusement avant de s'affaler de tout leurs poids sur moi. J'ai eu une rupture des ligaments croisés du genou droit. Je devais être opéré en juillet. Au départ, on a cru à un simple étirement au niveau du genou. Après deux ou trois semaines de repos, j'ai repris les entraînements. Seulement, dès la reprise, lors d'une petite séance de tirs au but, mon genou a craqué. Je me rendais à l'évidence : il me fallait passer sur le billard. Mon club m'a envoyé à Lyon auprès d'une sommité mondiale spécialiste des traumatismes du genou, Pr Tryat. La lettre d'accompagnement signée Docteur Taïeb Litaïem aidant, je décris au Professeur dans le détail l'incident de jeu, comment mon genou a «tourné», deux joueurs m'étant tombés dessus. Devant le collège médical rassemblé pour établir le diagnostic, il me félicite chaudement : «Bravo, voilà un patient qui nous aide vraiment à établir le diagnostic!». Le check-up a, du reste, établi bien d'autres lésions. Il m'a donné un mois de repos, le temps que la plaie se résorbe. En rentrant, j'ai montré la lettre à notre président, Azouz Lasram. Deux mois plus tard, le Professeur Pryat n'était plus dans sa clinique, une tournée devant l'amener en Coupe du monde, en Allemagne. Cette attente a relancé le diagnostic, Pr Kassab concluant à l'étirement plutôt qu'à une rupture. Après consultation avec Dr Litaïem, sa sentence est on ne peut plus claire : «Nous sommes tous unanimes à dire que vous ne souffrez pas d'une rupture. On va réparer ce qui doit l'être». Rendez-vous est pris pour le mois de juillet, date fixée pour l'intervention chirurgicale. Finies les consultations avec Pr Tryat, ce sont quarante-cinq jours de calvaire qui m'attendent au cours desquels des démangeaisons me torturent. J'use parfois de tournevis, et même de cravache que j'enfonce par des «ouvertures» improvisées dans le plâtre afin de frotter, car c'était plus fort que moi. Lorsque j'ai enlevé le plâtre, je m'étais évanoui : du bassin de mon corps jusqu'aux orteils, la moitié inférieure de mon corps martyrisé était engoncée dans un lourd plâtre qui ressemblait plutôt à une armure pesante de paralysé. Durant ce temps d'immobilisation, j'ai perdu deux kilos, les quadriceps ont perdu de leur souplesse. Il m'a fallu trois mois de rééducation. Tout le monde était alarmiste, on me disait que ma jambe droite n'était plus comme l'autre. J'étais désormais incapable de plier entièrement cette jambe très amoindrie. J'ai tenté un come-back de deux mois, à partir du mois d'avril 1975, sous la férule de notre entraîneur Ameur Hizem. Ma fille étant admise dans un jardin d'enfants, et comme j'ai changé de résidence, m'installant à l'Ariana, je ne savais plus où donner de la tête pour aller chercher mon épouse à sa sortie du boulot, ma fille en quittant le jardin d'enfants... J'ai eu peur que le public me dise un jour dehors, constatant que je ne retrouvais plus mes moyens. En mai 1975, je devenais un citoyen ordinaire. Et c'était tant mieux car je ne voulais pas sortir par la petite porte. Question primes, je ne perdais pas grand-chose : une victoire nous rapportait tout juste dix dinars. Rien à voir avec ce qui se passe aujourd'hui. Non, ce n'est pas de la frustration que je ressens, mais tout simplement le regret de n'être pas allé jusqu'au printemps argentin. J'ai commencé comme attaquant, c'est André Nagy qui m'a replacé en défense à partir de 1969. Au collège Sadiki, j'étais un champion au sprint, mon apport offensif est supérieur à celui d'un Mokhtar Dhouib, aligné en Argentine. Mektoub. Il était écrit que je ne tiendrai pas jusqu'en 1978. Non, ma génération n'était pas plus violente que celle d'aujourd'hui. Je déteste la méchanceté, un De Jong ou un Schumacher... Je n'ai jamais tiré un adversaire par le maillot ou usé de coups dangereux. Deux fois, j'ai agressé Abdelmajid Ben Mrad et Tahar Aniba parce qu'ils m'ont provoqué. Pas sur une phase de jeu».