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Rencontre autour d'une mère
Entretien avec Fawzia Zouari
Publié dans La Presse de Tunisie le 13 - 04 - 2016

Son dernier livre, Le corps de ma mère, paru aux éditions Démeter, était un des événements de ce dernier salon du livre. Il nous a offert l'occasion de la rencontrer et de l'écouter parler de ce «cœur du monde» qu'est une mère.
Durant vingt-cinq ans, brillante journaliste, Fawzia Zouari luttait contre sa nature profonde. A elle qui ne rêvait que de déformer la réalité, de la livrer au pouvoir de l'imaginaire, on demandait la concision et la précision. A elle qui ciselait son style, on demandait de s'inscrire dans celui du journal. A elle qui employait le « je » au nom de toutes les femmes dont elle vengeait le silence, on demandait de parler à la troisième personne.
Son dernier livre, Le corps de ma mère, paru aux éditions Démeter, était un des événements de ce dernier salon du livre. Il nous a offert l'occasion de la rencontrer et de l'écouter parler de ce «cœur du monde» qu'est une mère.
Il peut paraître insolite de commencer l'interview d'un écrivain par la citation d'un autre auteur. Et pourtant, l'amalgame, facile qu'il puisse paraître, était irrésistible. Dans son livre Fritna, lui aussi consacré à sa mère, Gisèle Halimi écrivait en exergue : «C'est parce que ma mère ne m'aimait pas que je suis devenue ce que je suis». C'était violent, ce qui fait qu'on s'en souvient. Fawzia Zouari, elle aussi, parle d'une mère. Une mère morte, qu'il lui a fallu du temps pour approcher, cerner, posséder, pour pouvoir enfin en parler. La mort n'a pas libéré la parole. Il a fallu plus, la violence d'une révolution peut-être, la sensation d'un monde qui bascule, l'urgence de préserver une mémoire, un souvenir, un héritage. Le sentiment indicible, inexplicable, mais impératif que le moment était venu de rencontrer cette mère qu'elle ne connaissait pas, dont elle n'avait jamais vu le corps, mais dont l'esprit vivait en elle. Et dont, en fin de compte, elle était la légataire.
Alors, quand on lui demande si elle est devenue ce qu'elle est «parce que sa mère ne l'aimait pas», elle n'hésite pas un instant : «Je ne pourrai jamais dire que ma mère ne m'aimait pas. Nous ne sommes pas dans la tradition de ‘‘Familles je vous hais''. J'appartiens à un monde où c'est une fatalité d'aimer sa maman, et où il ne pourrait y avoir de rapport de rupture. Alors, s'il est vrai qu'elle aimait davantage les garçons, nous, les filles, nous partagions ses rituels, elle faisait de nous les témoins d'une tradition, nous confiant implicitement la mission de la préserver. Ce qui est peut-être une autre façon d'aimer ».
Des rituels qui structuraient la vie, l'être et le paraître de ce personnage hors du temps et de l'espace auquel ce livre rend un superbe et terrible hommage. Reine en majesté, déesse ou prêtresse, magicienne ou poétesse, Yemna avait la puissance des mères nourricières, celles qui dominent les forces telluriques, tutoient l'invisible, transcrivent l'indicible, puisent leurs pouvoirs dans les racines de leur terre, et s'étiolent sitôt les en a-t-on privées. Une vie entière, cette femme hors du commun exerça emprise et autorité sur sa famille, son entourage, son village. Elle était le nœud, la clef, mais aussi le mystère. Un mystère, des non-dits qui ont longtemps maintenu à distance Fawzia, la dernière de ses enfants, la transfuge, celle qui avait quitté le village pour traverser les mers et devenir écrivain.
Yemna était de celles qui craignent d'attirer le regard des dieux. Or, qu'y a-t-il de plus susceptible d'attirer cette attention, et toutes les malédictions qui en découleraient sinon le récit et l'écrit.
«J'étais celle qu'elle avait choisie pour partager ses rituels. Mais elle m'a abandonnée quand elle a compris que j'écrivais. Un écrivain est dangereux, il expose l'intime. Elle ne me l'a jamais reproché, mais ne m'a, non plus, jamais posé de questions sur mon métier, sur mes livres. Cela faisait partie du non-dit».
Il a fallu longtemps à l'écrivain pour décider d'écrire ce livre, longtemps pour surmonter le sentiment de culpabilité qui s'imposait à elle : «J'ai toujours su que ma mère était un personnage de roman. Mais je n'ai jamais su si je la regardais vivre comme le ferait une fille ou un écrivain. Quelque chose cependant m'interdisait, de son vivant, de l'exploiter dans mes livres. Cela aurait été comme la faire mourir. Une fois morte, cela aurait été la profaner. Cela a fait l'objet de longues négociations entre moi, et ce que je percevais d'elle : était-ce bien, était-ce mal ? Pouvais-je parler d'elle à ces gens qui ne nous connaissaient pas ? Ne m'aurait-elle pas dit : attention, ne nous expose pas ? M'aurait-elle pardonné ? Je n'ai toujours pas de réponse».
Du jour où elle a entrepris de raconter cette femme insaisissable, véritable héroïne de tragédie, épouse amante et mère implacable, pouvoir occulte d'un village dont elle avait maîtrisé les codes, les rapports de force, les passions et les haines, les désirs et les secrets, Fawzia Zouari qui se cache à peine sous le masque de la fiction entame une longue et patiente enquête. Qui connaissait cette femme qui n'avait cessé, une vie durant, de voiler sa vie, de mettre en scène son quotidien, de brouiller les pistes. ?
Quand enfin elle trouve réponses à ses questions chez le personnage le plus improbables, choreute de cette pièce qui se joue selon les règles d'une véritable dramaturgie, elle franchit le pas
Mais se pose alors à elle le problème de la langue : comment parler de sa mère dans une langue qui n'était pas la sienne, comment traduire l'intime dans une langue qui lui était étrangère.
«Je pense avoir adopté une langue dont les mères ont l'intuition, une langue qui ne trahit pas les mères».
Ce qui est remarquable dans ce livre, c'est la façon subtile qu'a l'auteur d'entremêler deux niveaux de langage, de superposer deux manières d'être au monde : le souffle épique qui anime Yemna, cette femme qui côtoie l'invisible, tutoie les saints marabouts, étale le temps et l'espace, fait se croiser le passé immémorial et le présent. Et la pertinence et l'impertinence quelquefois, l'humour, le clin d'œil, la poésie, la dérision, le talent pour camper les personnages, le sens de la mise en scène et de la mise en abîme de la narratrice.
Sur la couverture de l'édition tunisienne de son livre, Fawzia Zouari a choisi une bien étrange citation : «Lève la tête ma fille et observe bien la lune. Vois-tu sur sa surface l'enfant pendu par ses cils ? Eh bien, c'est parce qu'il a mis en doute la parole de sa mère». Elle n'a jamais mis en doute la parole de sa mère. Quand bien même celle-ci a joué sa vie en remarquable comédienne. Et l'on se dit que ce genre de livre ne peut laisser indemne. Qu'écrire après ce superbe et terrible récit ?
«Ce livre a été une histoire entre elle et moi. S' il touche les lecteurs, si je suis arrivée à partager le cœur du monde qui est une mère, c'est merveilleux. Je me sens légataire de ce monde qui était le sien et pas celui des autres, de ce temps qui était le sien et pas celui des autres. Dans notre famille, celle de Sidi Askar, le saint homme mort il y a des siècles avec qui Yemna dialoguait, on dit qu'il y a un ouli toutes les sept générations. Peut-être que cet ouli s'est transformé en écrivain. Peut-être que c'est moi que les ancêtres ont choisie pour la transmission».
Bien sûr, il y aura un après dans le parcours de l'écrivain. Et si ce livre s'impose comme un moment privilégié, une incursion dans l'intime et le sacré des relations d'une mère et d'une fille, Fawzia Zouari travaille déjà sur un autre ouvrage : Molière et Schéhérazade.
«Qu'est-ce que cela représente pour un écrivain arabe d'écrire en français ? Pourquoi quitte-t-on la langue arabe ? Telle est la question que je pose. J'ai dépassé la problématique posée par les écrivains maghrébins francophones, j'ai abandonné la terminologie belliqueuse qui veut faire du français un butin de guerre. Je me suis dit que la femme a peut-être pour rôle de nous réconcilier avec la langue. Au kuttab, on nous apprend que le seul livre qui vaille est le Coran et le seul auteur Dieu. L'arabe est la langue de Dieu, c'est la langue paternelle. La femme a une façon différente d'être au monde : elle le saisit avec ses sensations, son regard, sa peau, son physique de femme. Elle n'écrit pas de la même manière qu'un homme. Quelle que soit la langue, à partir du moment que la femme a décidé de s'en saisir, elle devient une langue maternelle. J'habite la langue française, c‘est un pays entre les frontières. L'important est la fenêtre que cette langue me permet d'ouvrir sur le monde. C'est de cela que je veux parler dans ce livre Molière et Schéhérazade».
Autre fer au feu, elle travaille à un livre sur un personnage atypique et remarquable, véritable Lawrence d'Arabie féminin : Valentine de Savoie, nièce de Lamartine, nietzschéenne convaincue, égérie du mouvement futuriste, qui quitta l'Europe pour l'Egypte, se convertit à l'Islam, et mourut dans le plus grand dénuement.
Nouveau projet pour cet écrivain qui écrit dans l'urgence, sans plan défini, dans une absolue nécessité et un total isolement: un livre où elle demande à douze intellectuels musulmans de parler du Christ.
«En attendant de revenir à Dahmani pour réaliser le rêve qui me poursuit : recueillir le patrimoine oral de cette région si riche de traditions, ses chants, ses contes et légendes, ses rituels, ses recettes, tout ce qui fait sa spécificité et qui mérite d'être préservé».


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