De notre envoyé spécial à Lusaka, Anis SOUADI L'Afrique doit prendre son destin en main, engager rapidement mais sûrement sa transformation agricole et industrielle, bien se positionner sur les chaînes de valeur économiques et mettre ainsi fin à la malnutrition et à l'insécurité alimentaire. Le message lancé par Akinwumi Adesina, président du Groupe de la Banque africaine de développement, lors des assemblées annuelles est sans appel : la malnutrition, la famine et l'insécurité alimentaire ne sont plus permises. «Il est grand temps que notre continent se prenne en charge et mette fin au retard de croissance», dit-il. Le président du groupe estime justement qu'il n'est plus de choix donc que de nourrir notre Afrique, avec, en point de mire, la transformation de l'agriculture en une activité commerciale dans tous les pays africains. Notre objectif est clair : «Atteindre l'autosuffisance alimentaire en Afrique dans les dix ans, éradiquer la malnutrition et la faim, hisser l'Afrique au sommet des chaînes de valeur agricole et accélérer l'accès à l'eau et à l'assainissement». Un objectif stratégique, soutenu d'ailleurs par l'engagement personnel et du partenariat de Bill Gates, qui a tenu à se joindre aux travaux des assemblées par vidéoconférence, en lançant un appel fervent à mettre un terme à la malnutrition en Afrique. Seulement 2% du marché du chocolat Pour Akinwumi Adesina, «la recette pour créer les richesses est sans équivoque : les nations riches apportent de la valeur ajoutée à leurs exportations, tandis que les nations pauvres exportent leurs matières premières. À titre d'exemple, l'Afrique, qui assure 75 % de la production mondiale de cacao, ne perçoit que 2 % des 100 milliards de dollars US que génère le marché du chocolat tous les ans! Ce modèle ne peut plus créer la richesse à laquelle l'Afrique aspire. L'Afrique ne doit plus rester confinée au bas de l'échelle des chaînes de valeur. Elle se doit de diversifier rapidement sa gamme de produits d'exportation, et d'ajouter de la valeur à ses matières premières, par la création de chaînes de valeur efficientes et compétitives. Cette évolution est d'autant plus indispensable que l'Afrique ne représente que 1,9 % de la valeur ajoutée mondiale de l'industrie manufacturière». Cet engagement est tout à fait légitime, car la malnutrition reste l'un des soucis prioritaires de l'Afrique d'aujourd'hui. Et cette insécurité alimentaire menace même les générations futures. Sauf si nos décideurs africains arrivent enfin à trouver la formule adéquate pour contrer cette menace. Et ce n'est pas encore évident. La nouvelle stratégie «Nourrir l'Afrique» semble répondre à cette aspiration. Présentée et lancée à l'occasion des assises de la BAD, la nouvelle stratégie, qui se fonde sur les engagements du Programme de développement de l'agriculture africaine (Pddaa), traduit clairement, comme le souligne le rapport de la BAD, «la volonté de transformer l'agriculture africaine en secteur inclusif axé sur la compétitivité à l'échelle mondiale, la création de richesses et d'emplois rémunérés, et l'amélioration de la qualité de vie des populations africaines». Remonter les chaînes de valeur mondiales Cette stratégie prévoit ainsi d'éliminer l'extrême pauvreté, d'éradiquer la famine et la malnutrition et de faire de l'Afrique un exportateur net de produits alimentaires et contribuer à remonter l'Afrique sur les chaînes de valeur mondiales. Mieux encore, le rapport précise que Nourrir l'Afrique «tourne le regard vers l'avenir, en veillant à la réalisation d'autres objectifs au-delà de la croissance du secteur de l'agriculture, notamment assurer la sécurité alimentaire et appuyer la croissance inclusive à travers une représentation accrue des femmes et des jeunes, et l'amélioration de la résilience aux changements et aux chocs climatiques». D'ailleurs, les experts africains expliquent, lors des travaux des assemblées de la BAD, que l'intérêt particulier accordé à la transformation de l'agriculture en Afrique tient surtout compte de son poids économique. Cela est d'autant plus vrai que ce secteur assure à lui seul plus de 60% des emplois au niveau du continent. Il faut donc chercher à élargir encore plus son niveau de productivité pour pouvoir répondre aux nouvelles exigences aussi bien locales qu'internationales. Surtout que le manque de productivité entraîne généralement des coûts humains et économiques élevés. Selon les dernières statistiques, plus de 232 millions de personnes en Afrique souffrent de malnutrition, alors que sur le plan économique, la faible productivité rend l'agriculture peu compétitive. Et ce n'est pas tout: à défaut de réaction rapide, la population vivant dans l'extrême pauvreté passera de 420 millions en 2015 à 550 millions en 2025. Besoin de catalyseurs Les changements climatiques constituent de leur côté une motivation supplémentaire de taille pour accélérer le processus de transformation, en raison de la dégradation significative des terres agricoles et la réduction des rendements des agriculteurs. La baisse des prix des produits de base offre aussi aux agriculteurs de nouvelles opportunités pour diversifier leur exportation et réduire ainsi les déficits courants. Les intervenants précisent dans ce même contexte que l'évolution aussi bien de la demande alimentaire que des habitudes de consommation conduisent à la hausse rapide des importations qui devraient passer de 35 milliards de dollars en 2015 à 110 millions de dollars en 2025. Ce qui atteste de nouvelles perspectives en matière de transformation des produits agricoles. Cette transformation du potentiel agricole africain aurait pour mérite de créer de véritables catalyseurs. Il s'agit d'abord de l'accroissement de la productivité grâce à une meilleure diffusion des technologies de transformation, de l'augmentation de la valeur ajoutée, l'augmentation des investissements dans les infrastructures matérielles et immatérielles, l'amélioration de l'environnement agroalimentaire et l'augmentation de l'inclusivité, la durabilité et la nutrition. Toutefois, le succès de cette démarche repose sur la valorisation et la bonne exploitation de ce qui marche déjà, la mobilisation des compétences appropriées et la garantie d'une réelle volonté politique.