Sur les bords d'une campagne verdoyante, vient mourir un lac qui, vers Mateur, devient lagune. La montagne Ichkeul en occupe le fond : sévère, gainée de noir, imposante avec ses cinq cents mètres d'altitude, elle devient une île, en hiver, quand les eaux l'encerclent de toutes parts. Habitant sur le flanc de la colline dans une petite hutte avec sa famille, Mohamed Salah, âgé de soixante ans, a l'habitude, été comme hiver, de descendre, une fois par semaine, la pente escarpée pour se rendre aux bains aménagés sur l'autre versant de la colline. Le visage buriné du paysan reflète la rudesse de la vie à la campagne. «Je vis ici depuis mon enfance. Mon père vivait également ici et cultivait un petit lopin de terre. Quand j'ai grandi, j'ai été chargé de veiller sur le site et d'alerter le conservateur du parc au cas où il y aurait des intrus. La vie dans ce parc n'est pas facile. Je vis modestement avec ma femme et mes enfants dans une cabane où il n'y a pas de commodités. L'hiver est très dur et nous souffrons énormément du froid». Seule la vente des produits du terroir aux visiteurs du parc permettrait d'améliorer sa situation et celle de sa famille, arguant que les responsables devraient penser à aménager un gîte rural au sein du parc dans lequel on servirait ces produits, ce qui permettrait de générer des revenus fixes pour les habitants du site. En effet, comme au mont Chaâmbi, les conditions d'exercice et de vie dans ce genre de réserve naturelle sont extrêmement difficiles. Situé à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, le parc d'Ichkeul est une étendue de verdure et de plantes sauvages bordée par d'immenses marécages non loin desquels paissent des buffles d'eau. Le soir, le soleil couchant donne des reflets dorés à cette immense étendue d'eau qui accueille tout au long de l'année plus de 200 espèces d'oiseaux qui viennent y faire halte et passer l'hiver avant de poursuivre leur trajet. Au début du printemps, seul le sifflement des pinsons, le pépiement des moineaux et la carcaille de la caille viennent troubler le silence du parc qui accueille chaque année plus de 50.000 visiteurs. La richesse exceptionnelle de la faune et de la flore a valu à ce site, à une époque en péril, d'être classé en 1996, sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco afin d'être protégé. Il tire surtout son originalité, unique dans toute la région du Maghreb, du fait qu'il est composé de trois grandes entités paysagères : le lac, la montagne et les marais. 500 espèces de plantes Le mont Ichkeul aux pentes abruptes, qui culmine à 510 mètres, est recouvert d'une grande diversité d'espèces végétales sauvages, 500 au total, qui s'étendent tout le long du versant. Il est très agréable de se promener à l'ombre des oliviers, des caroubiers, des lentisques sauvages, dont le vent sème l'odeur âcre de la résine. En hiver, les olives d'oléastres sont mûres et servent de nourriture à des milliers d'étourneaux, de merles et de grives. Mais c'est au printemps que la végétation de la forêt devient plus dense et se pare, dans un foisonnement de couleurs, de fleurs aussi belles les unes que les autres. Des liliacées, de cyclamens, d'iris et d'orchidées poussent à l'ombre des rochers et dans les sous-bois. Au détour d'une piste qui s'enfonce dans la montagne, des tamarix africains dressent leurs fleurs de couleur rose, en forme de grappes. Le lac, quant à lui, s'étend au pied du jebel et est alimenté par plusieurs oueds, dont l'oued Joumine, l'Oued Melah et Sejnane, à l'origine de la végétation riche des marais. Des buffles d'eau paissent au bord. Sous les beys, leur garde avait été confiée à un caïd, et on leur attribue le nom de djamous el bey : buffle du bey. En 1957, ces derniers faillirent disparaître et doivent leur survie à une mesure de la direction générale des forêts qui décide d'en interdire formellement la chasse. Gîte rural avec vue sur le lac Les bulbes et les rhihizomes des scyrpes qui alimentent la végétation des marais servent de nourriture aux milliers d'oiseaux migrateurs dont les oies cendrées qui viennent de l'Europe centrale pour passer l'hiver dans le parc. Elles ne sont pas les seules. La magnifique poule sultane aime bien aussi se nicher à l'ombre des roseaux qui se dressent au bord du lac. D'autres espèces vivent également dans le site protégé. L'aigle de Bonelli, ainsi que l'aigle botté tournoient au-dessus de la montagne, à l'affût de charognes. Le chacal, le renard et la mangouste sont attirés, quant à eux, par les nombreux petits oiseaux, les grenouilles et les sauterelles qui pullulent dans le parc. Aujourd'hui, les ressources naturelles du parc gagneraient à être mises en valeur. D'ailleurs, une collaboration a été établie avec l'Institut supérieur du patrimoine, ainsi qu'une association américaine afin de restaurer et de mettre en valeur le gîte rural où il sera possible de rester toute la journée, et de consommer les produits du parc (miel, huile d'olive, câpres…). Cela permettrait, ainsi, de développer le tourisme écologique et de créer des sources de revenus pour les résidents du parc.