Ça bouge entre le palais et le sérail. Béji Caïd Essebsi, président de la République, a lancé il y a trois jours l'idée d'un gouvernement d'union nationale. Il a dressé auparavant un bilan peu reluisant de la politique gouvernementale. Un désaveu à termes à peine voilés de l'exercice de M. Habib Essid, chef du gouvernement. En fait, c'était dans l'air. Les rapports entre les deux chefs de l'exécutif ne sont guère au beau fixe depuis quelque temps. Escarmouches et guerres de positions se succèdent entre La Kasbah et Carthage. Au rythme de changements d'alliances et de renversement de la vapeur. Il ne faut guère oublier qu'aux premiers moments de la grave crise qui a secoué Nida Tounès, parti de la majorité gouvernementale fondé par Béji Caïd Essebsi, Essid faisait bloc avec le président Essebsi, son ministre-chef de cabinet, Ridha Belhaj, et le chef du bloc parlementaire de Nida, Fadhel Ben Omrane. Depuis, ces deux derniers ont été démis par le président de la République et ses proches et Habib Essid fait du surplace. Seuls les arcanes de la politique politicienne pourraient percer le mystère de ces énigmes d'alliances et de contre-alliances subites. La crise gouvernementale, tout le monde en convient. Les investissements se font rares, les exportations aussi. L'endettement extérieur atteint des limites faramineuses. Les finances souffrent au même rythme que la balance commerciale. Le dinar dégringole tragiquement, les impôts augmentent. Les prix augmentent à une allure vertigineuse et le pouvoir d'achat du citoyen lambda fond comme neige au soleil. Le chômage massif persiste, au-dessus de la barre des 15 pour cent, dépassant les 30 pour cent auprès des jeunes diplômés. Les ministres multiplient les apparitions sur les plateaux télé et dans les radios. N'empêche. Tout le monde désespère. Les citoyens éprouvent le lancinant sentiment d'amertume, de frustrations et d'angoisse du lendemain. D'une certaine manière, la proposition présidentielle est tardive. Et puis, constitutionnellement, c'est une espèce de coup d'épée dans l'eau, le président de la République ne disposant pas des prérogatives constitutionnelles pour destituer ou nommer de son propre chef le chef du gouvernement. Mais c'est un coup d'épée quand même. Quelques heures après l'interview présidentielle, Habib Essid a tenu à donner une interview à Radio Express FM. Puis il a reçu Rached Ghannouchi, président d'Ennahdha, deuxième grand parti de la coalition gouvernementale. Visiblement, Habib Essid veut encore rester à la barre. Il s'agrippe. Il s'est même permis l'extravagance de dresser un bilan positif de son gouvernement, concédant au passage quelques erreurs de circonstance ! Il a refusé jusqu'ici de rendre le tablier, de démissionner. Il joue les prolongations, fussent-elles désespérées. Parce qu'il devra rendre le tablier dans les heures ou les jours qui viennent. Les autres partis de la place y sont allés de leurs sons de cloche respectifs. Il est vrai que la proposition du chef de l'Etat, au demeurant fort tardive, mise sur la participation au gouvernement de différents partis politiques et des principales organisations de masse. C'est dire que tout compte fait, on n'est pas sorti de l'auberge de la partitocratie. Et tout porte à croire qu'on s'achemine vers une nouvelle redistribution des cartes entre les mêmes protagonistes. C'est-à-dire ceux-là mêmes qui ont été l'huile et le rouage de la grave crise qui, au terme de huit gouvernements successifs depuis la révolution, nous ont fixés dans les affres de la transition bloquée. Or, ce dont le pays a besoin, c'est une nouvelle politique économique et sociale adossée à un nouveau et grand projet de société. La Tunisie a besoin de profondes réformes de structures. C'est-à-dire d'une nouvelle imagination politique sur fond d'un réel projet économique et social de sortie de crise et de redéploiement. Et non point, comme le fait l'actuel gouvernement, d'un plus ou moins honnête gérant du capitalisme débridé et sauvage sur fond de monétarisme de pacotille. Autrement, on se contentera toujours du menu fretin habituel, entre bricolage et provincialisme. Et l'on se dira, à part soi et à contrecœur, en se faisant violence au besoin, à défaut de grives, on mange des merles.