Les Tunisiens n'escomptent d'ailleurs pas beaucoup du remaniement ministériel annoncé à cor et à cri. Habib Essid, chef du gouvernement, a entamé samedi une série de rencontres avec divers leaders de partis politiques en vue du remaniement ministériel escompté dans les prochains jours. Il aurait commencé un tour d'horizon avec les principaux leaders des partis de la coalition gouvernementale. Bien évidemment, malgré son bilan au-dessous de la moyenne, Habib Essid se succédera à lui-même à la tête du gouvernement. Pourtant, il aurait gagné à se désister. N'empêche, le pouvoir a des attraits ravageurs, même après une révolution supposée avoir décimé les attributs de l'accaparement des dignités. Les régimes changent, la cécité politique demeure. Et le remaniement en question devrait intervenir dans un environnement à bien des égards vicié. C'est-à-dire peu propice à la mise en branle de la dynamique de sauvetage et de relance tant souhaitée. En plus des problèmes économiques, sociaux et sécuritaires qui sont légion, le front intérieur est bien fragile. L'accord sur les augmentations dans le secteur privé piétine. Les corporatismes l'emportent. Les deux principaux partis de la coalition gouvernementale, Nida Tounès et Ennahdha, sont aux prises, chacun, avec les démons de la division intérieure, voire de la scission irréversible. Ennahdha et Nida voudraient par ailleurs imposer la reconduction de ministres qui ont échoué manifestement dans l'actuel gouvernement. Idem pour la nomination de nouveaux ministres sur des bases partisanes plus que d'expertise et de maîtrise des dossiers. Des nominations qui risquent de renfermer les ingrédients et les germes d'une crise gouvernementale aussi profonde que celle en vigueur, en somme. Auquel cas, Habib Essid devra se résoudre à rendre le tablier pour de bon. Le programme économique de relance demeure toujours en suspens. La loi de finances n'augure de rien de substantiel, hormis quelques détaxations. Le surendettement extérieur sévit et le spectre des paiements du principal et du service de la dette contractée sous le régime de la Troïka se profile comme une profonde angoisse. L'environnement régional et international n'est guère en reste. Guerres ravageuses en Syrie et au Yémen, chaos généralisé et situation extrêmement dangereuse et explosive en Libye voisine et au nord du Mali, risques d'interventions militaires occidentales à nos frontières sud... C'est dire que le topo n'est guère reluisant, encore moins motivant. Le gouvernement Habib Essid devra courir deux fois plus vite pour rester à la même place. Des secteurs stratégiques demeurent en friche tels que les exportations de l'huile d'olive, la relance de la production optimisée du phosphate ou le redéploiement du tourisme. Malgré tous ces défis, M. Habib Essid fait encore montre d'une apathie politique déconcertante. Il compte continuer dans sa politique de suivisme à l'endroit de la partitocratie et de l'alliance indéfectible entre Nida et Ennahdha. Pour Habib Essid, l'épicentre du pouvoir est au Lac et à Montplaisir. Il ne saurait imaginer la politique en dehors de cette alliance qui commence à peser comme une chape de plomb. Le tout, bien évidemment, sous la houlette d'un présidentialisme de fait rampant. C'est un secret de Polichinelle en vérité que de souscrire que Habib Essid n'entreprend rien sans l'aval appuyé du président de la République. Pourtant, le locataire de La Kasbah est supposé être, constitutionnellement du moins, l'autorité la plus forte du pays. N'empêche. Il veut remplir avec honneur les seconds rangs. A l'en croire, jouer les seconds couteaux vaut mieux que quitter le pouvoir ou s'assumer pleinement. Les Tunisiens n'escomptent d'ailleurs pas beaucoup du remaniement ministériel annoncé à cor et à cri. Parce que, tout naturellement, on ne fait guère confiance à une équipe qui perd et qui s'ingénie à jouer encore et davantage à qui perd perd.