Walid Amri brise les tabous, se sent un citoyen du monde, un homme libre qui a le devoir de construire le monde des hommes libres Quand on s'appelle El Amri et quand en prime on est le fils de Si Laâroussi, le perspectiviste des années 60 du siècle précédent et l'universitaire qui a dirigé la rédaction de Réalités lors des années de braise et qui a claqué la porte de l'IVD lorsqu'il a découvert selon ses dires que Sihem Ben Sedrine voulait en faire un ranch personnel à l'image de l'inoubliable JR Ewing d'une part, et la production, d'autre part, de Nelly El Amry «la femme citoyenne et demie» qui a dit non à Bourguiba, à Ben Ali et à Rached Ghannouchi quand il a voulu faire de la femme tunisienne la complémentaire de l'homme, on attrape le plus naturellement le virus de l'écriture et on prend la décision malgré soi de chanter la liberté, d'encenser la tolérance et de défendre l'autre, et de se sacrifier pour que cet autre puisse parler, écrire et surtout partager avec nous la joie de construire un monde meilleur. Il s'agit de Walid Amri qui vient de publier aux éditions l'Harmattan son cinquième recueil de poèmes «Sud Exsudant» dans la collection «Poètes des cinq continents». Le cinquième recueil et on attend le prochain Face aux convulsions qui traversent le monde d'aujourd'hui, quelle place pour le Sud qui réclame sa part dans la civilisation humaine. Ce Sud est plein de rage d'être reconnu et il a pris conscience que son rôle ne peut plus être ignoré. D'ailleurs, les intellectuels qui ont la capacité de reconnaître l'autre et de dialoguer avec lui ne parlent plus de choc de civilisations, mais plutôt de dialogue et d'ouverture mutuelle. Et Walid Amri n'a pas tort quand il souligne que «l'écriture pour moi est un appel, un besoin, une espèce de démangeaison de vouloir sauver le monde». Mais sauver le monde de quoi ? La poésie de Walid Amri nous crache crûment nos vérités amères et nous appelle à nous libérer de nos démons et à briser nos tabous, ces empêchements qui nous privent de voler de nos propres ailes et de vivre la volupté et le plaisir parfait du partage. «Avant-poésie» est un texte d'une rare beauté et d'une limpidité extraordinaire. Il précède les poèmes de Walid Amri et le poète y explique son approche de la poésie, son rôle et ce qu'elle peut apporter à la grande bataille de la compréhension entre les peuples. C'est une sorte d'avant-propos où le poète arrive à la conclusion: «Il n'y a finalement pas de chocs, ni de guerres de cultures ou de religions, ni d'affrontements frontaux, mais bien deux hémisphères, deux univers de nature différente qui ont suivi des itinéraires distincts, antinomiques, mais pas forcément ennemis». Et ces deux hémisphères distincts sont condamnés à s'entendre, à échanger et à vivre ensemble pour construire ensemble aussi ce monde tant rêvé par les poètes épris de liberté et ceux qui écrivent pour que les autres comprennent que la violence, la haine, le déni de l'autre et l'intolérance ne mènent qu'à la division et qu'à la perdition, en premier lieu, de ceux qui pratiquent la violence et le déni de l'autre. A lire les poèmes de Walid Amri, on relève qu'ils s'inscrivent dans cette nouvelle démarche adoptée par plusieurs poètes modernes : un texte court, des termes simples appartenant au français accessible à tous et des images dans lesquelles on se retrouve facilement. Un discours poétique qui a le mérite de faire du lecteur un partenaire de ce que le poète écrit, pense et même de ce qu'il n'arrive pas à extérioriser et qu'ils pourrait, peut-être, «pondre» dans son prochain recueil. Un exemple de beau maniement du verbe et de l'image : «Je n'ai pas faim, pas soif, pas besoin de lotions ni d'étoffes ne plus être étranger ne plus être occident ne plus être péril oxydant». Ce sont les derniers vers du poème «Dioxyde de l'Occident». Ils résument admirablement et simplement la volonté de se libérer, de dire non à l'étouffement, au sentiment d'être étranger parce qu'un étranger, c'est le péril permanent, c'est la menace quotidienne. Il s'agit, à l'évidence, du discours désuet de ceux qui refusent ou sont incapables de comprendre l'autre.