Trois groupes avec une étonnante diversité de rythmes pour une soirée mémorable, à revivre ailleurs. Célébrer la fête de la musique chaque 21 juin est devenu une tradition en Tunisie. De nombreux espaces culturels et festivals ramadanesques proposent des soirées spéciales pour cette fête lancée en France en 1982 avant de devenir internationale. L'événement principal reste celui de l'Institut français de Tunisie qui l'organise cette année sur l'avenue Habib-Bourguiba, avec des partenaires tunisiens, notamment des médias, ainsi que le fonds arabe Al Mawred al Thaqafi. La scène de la fête de la musique a été placée devant le Théâtre municipal. L'avenue Habib-Bourguiba est un lieu qui fait écho à l'esprit de cette fête qui se veut un événement gratuit et ouvert à tous, fait pour le «plein air, les rues, les places, les jardins, les cours d'immeubles, de musées, ou de châteaux». Une fête populaire par excellence pour laquelle trois groupes de la scène underground maghrébine ont été invités : les tunisiens Black Unit et Ghoula et les marocains N3rdistan. Aux alentours de 22h00, l'avenue Bourguiba, qui commençait à s'animer après la rupture du jeûne, a vu quelques dizaines de personnes se rassembler autour de la scène de la fête de la musique. Très vite, le nombre a augmenté quand le son a retenti. La première partie a été assurée par les rappeurs du groupe Black Unit. Des jeunes venus de la ville de Redeyef et qui chantent leur rage contre le chômage, l'injustice et la précarité, dans des titres comme «L'father» et «La'camora». Un groupe que l'on a bien fait d'inviter car il a très peu d'occasions de se produire et dont on entend très peu parler, surtout qu'il a évolué au sein du très intéressant projet «L'économat» (Laboratoire d'échanges artistiques et intellectuels fondé à Redeyef par la plateforme Siwa et la Fonderie au Mans). Le groupe le plus attendu fut certainement Ghoula (littéralement «ogresse»). Derrière ce projet musicalement et visuellement innovant, le compositeur et musicien Wael Jegham, monsieur Ghoula en personne. Entre musique électronique et patrimoine musical bédouin et urbain, ses mix sont détonnants, bien dosés et étonnants de fraîcheur et d'inventivité. Dans un même morceau, il peut incorporer la voix familière d'un conteur radiophonique ou télévisuel, avec celle d'un chanteur traditionnel maghrébin, avec un habillage électronique qui crée l'harmonie. Le tout est d'une maturité rarement atteinte par nos artistes. Saâdia et compagnie sur l'avenue Ghoula n'est plus à présenter pour les adeptes des réseaux sociaux. Il y a en effet diffusé plusieurs titres de son premier album qui sortira à la rentrée, intitulé à juste titre «Hlib el ghoula» (lait d'ogresse, expression tunisienne utilisée pour désigner quelque chose d'original ou d'introuvable). Pour son premier concert à la fête de la musique, il a ramené son air mystérieux (il portait un masque), ses outils de mixage, ses musiciens, ses qraqeb et autres instruments qui font le cocktail «ghoul» de sa musique. Avec des titres comme «Ya moumnin», «Allah Allah alik», «Sa3diya» et le fameux «Dawri» qu'il a remixé en live, il a fait des heureux parmi le public, surtout après leur avoir lancé des exemplaires de son CD encore inédit. A minuit, l'avenue Bourguiba était encore bien animée, entre public du concert, passants et certaines âmes charitables qui ont décidé de faire don de leur sang dans le van installé en permanence pour cette cause à l'avenue. Après quelques réglages, les membres du groupe marocain N3rdistan ont commencé à chanter. «C'est l'histoire d'exilé(e)s venu(e)s d'ailleurs avec leurs mélodies et leurs chants mystiques, des textes dérangeants et des rimes engagées». Voilà comment le groupe se présente. Ils ont interprété des titres de leur album Ep01, sorti en 2015, comme «T3ich w tchouf» et «Hada howa al hal». Malgré la bonne ambiance qui a régné, le groupe n'a pas eu la même chance que ses précédents à cause d'une qualité de son inégale. Un groupe à redécouvrir très vite dans de meilleures conditions car il en vaut le détour avec son univers électro-rock et ses paroles corrosives. Cela vaut d'ailleurs pour Black Unit et Ghoula, qu'on aimerait avoir l'occasion de redécouvrir ailleurs, avec un public venu spécialement pour la musique. Quant à la fête de la musique, ses organisateurs la décrivent comme une fête populaire mais «également l'occasion de suggérer aux grandes institutions musicales (orchestres, opéras, chœurs, etc.) de sortir de leurs murs, ou au contraire d'accueillir d'autres genres musicaux». On n'en demande pas mieux pour les années à venir. Que la tradition se perpétue!