La question de l'égalité des genres en héritage fait l'objet de litiges entre la société civile et les politiciens pro-féministes, d'une part, et les hommes de religions, de l'autre. Le projet de loi avancé par les pro-féministes et remis à l'Assemblée des représentants du peuple pour adoption n'a réussi à convaincre qu'une poignée de représentants. Entre l'aspiration à la concrétisation intégrale des principes de démocratie et le respect des spécificités d'une société musulmane régie par le texte coranique et par une législation puisée dans cette référence irremplaçable, se creuse tout un écart. Nous avons demandé l'avis de M. Othmane Battikh, Mufti de la République tunisienne, pour expliquer, d'un point de vue purement religieux, la question de l'héritage dans le Coran. Interview. La question relative à l'héritage et à l'égalité des genres fait l'objet de divergences entre les réformistes et les conservateurs. Comment analysez-vous cette affaire ? Cette affaire ne date pas d'aujourd'hui. Elle remonte à l'aube de l'Indépendance. Et depuis, elle est tranchée. Le Leader Bourguiba —en grand réformateur qu'il était— n'a pas osé transgresser le texte religieux, lequel est à la fois clair et ferme sur ce point. Je me souviens, alors que j'étais membre du Haut conseil islamique, que l'Association tunisienne des femmes démocrates (Atfed) avait fait requête auprès de l'ex-président Ben Ali pour revoir la question de l'égalité des genres en matière d'héritage. Ben Ali avait transféré cette demande au Haut conseil islamique, lequel a répondu par la négative. En 2015, et plus précisément à l'occasion de la célébration de la Journée nationale de la femme, la demande a été relancée auprès du Président Caïd Essebsi. Toutes ces tentatives se heurtent, évidemment, au Coran. Le texte sacré tranche la question de l'héritage selon une philosophie qui n'offense guère la femme. Dieu confie à l'homme le devoir indiscutable, l'obligation même de prendre en charge la femme et de subvenir à tous ses besoins. Dans le Coran, tout comme dans la législation tunisienne, puisée elle-même dans le Coran, la femme n'est point tenue à contribuer au budget familial. Elle le fait, certes, mais d'une manière délibérée, volontaire et facultative. D'un autre côté, si nous devons aborder la question de l'égalité en matière d'héritage, nous devrons logiquement réviser l'égalité entre tous les membres de la famille concernés par cette affaire. Il faudrait aussi clarifier un point important : nous ne pouvons aucunement changer les directives du texte sacré en prenant pour exemple l'expérience tunisienne en matière d'abolition de la polygamie. Ce sont deux volets différents dans la mesure où le texte conditionne la polygamie par l'égalité intégrale entre toutes les épouses et de se limiter à une seule dans le cas où l'on craindrait de faillir à cette condition. Du coup, le leader Bourguiba avait penché la balance du côté de la monogamie ; une décision qui fut acceptée par le peuple tunisien, sans hésitation ni objection. Je pense que, pour la société civile et les politiciens qui ont à cœur la défense des droits de la femme, mieux vaut pour eux de lutter pour la garantie du droit des femmes à leur part de l'héritage. De nos jours, notamment dans des milieux patriarcaux par excellence, innombrables sont les femmes qui n'ont pas accès à leur part de l'héritage sous prétexte que cela était inconcevable et que c'est à l'homme de jouir de ce privilège. Or, ce n'est point un privilège mais un droit exigé dans le Coran. Le texte coranique explique, dans les moindres détails, la répartition de l'héritage entre les membres de la famille. Y a-t-il, toutefois, des confusions qui jouent au détriment de la femme ? Il n'y a pas de confusions. Tout est écrit noir sur blanc dans la surate «Al Nissa'» ( Les femmes ). Si l'héritière est fille unique, elle aura droit à la moitié de l'héritage. La religion lui permet, dans un deuxième temps, de prendre possession de l'autre moitié qui aurait pu être récupérée par ses cousins paternels. Si elle a un frère, ce dernier prendra une part et elle, la moitié. L'épouse, quant à elle, disposera du un huitième de l'héritage, dans le cas où elle aurait des enfants et du quart, dans le cas où elle n'en aurait pas. Pour ce qui est du mari, il a le droit à la moitié de l'héritage de son épouse défunte dans le cas où ils n'auraient pas d'enfants. Pour les sœurs (deux et plus), elles bénéficieront des deux tiers. La part en héritage des grands-parents est de l'ordre du sixième de l'héritage dans le cas où ces seniors auraient des enfants ; sinon, ils bénéficieront du tiers de l'héritage. Comme vous voyez, tout est prescrit dans les moindres détails. Encore faut-il préciser qu'outre l'héritage de fait «mirath al fardh», les héritiers lointains ont la possibilité —s'il reste encore des parts à hériter— de jouir de ce droit légitime et ce, conformément au principe de l'héritage dit «Taâssib». La différence entre les droits des hommes et des femmes à l'héritage et celle divisant les membres de la famille ne relève point du favoritisme, mais du principe de priorité. Chacun joue un rôle bien déterminé au sein de la famille ; sa part en héritage ne serait qu'adaptée à son statut. Soucieux du principe de l'équité entre les genres, certains transgressent le texte coranique et recourent à des ventes blanches en faveur d'un héritier au détriment des autres. Quelle est la position de la religion par rapport à cela ? Il y a une nette différence entre le compromis et l'arnaque. Prenons un exemple : si un frère faisait don de sa part à sa sœur, et de bon gré, cela relèvera d'un compromis. En revanche, si un père décide de faire un don à son fils ou à sa fille —mais généralement, les parents privilégient les enfants de sexe masculin— sans que les autres futurs héritiers ou futures héritières ne soient au courant ou d'accord, cela relèverait de l'arnaque et de l'injustice. D'autant plus que Dieu prévient, à la fin de la partie consacrée à l'héritage à la sourate «Al Nissaa», toute personne musulmane osant enfreindre ce qui a été prescrit et l'avertit d'un lourd châtiment.