Chaque fois qu'un nouvel antibiotique est mis sur le marché, des résistances sont découvertes dans la foulée, d'où le risque majeur de se retrouver désarmé face à des bactéries encore plus résistantes à tous les antibiotiques. Le Conseil régional de l'Ordre des pharmaciens de Tunisie (Cropt) vient d'achever les travaux de la 12e Journée pharmaceutique tenus à Tunis, les 20 et 21 janvier, sous le signe de l'innovation, l'amélioration et l'entrepreneuriat dans le secteur pharmaceutique. Un rendez-vous devenu incontournable au fil des années, orienté essentiellement vers la formation scientifique continue des pharmaciens. Objectif, assumer pleinement et de la meilleure manière leur mission, comme l'indique le président du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (Cnopt) en Tunisie, Mustapha Laroussi. Un programme varié a été élaboré à l'occasion de cette journée qui porte autant sur la pharmacie d'officine que la pharmacie industrielle et qui a pris en considération les aspirations des jeunes pharmaciens et pharmaciens entrepreneurs. Ce programme se rapporte au rôle du pharmacien dans la mise en œuvre du plan national de lutte contre l'antibiorésistance, l'amélioration des performances des officines, l'éco-conception comme source d'innovation cosmétique, l'innovation des médicaments et les perspectives pour les pharmaciens industriels. Créer sa propre start-up relève également des volets du programme de la journée, d'autant que le besoin en médicament innovant est devenu une nécessité, pas seulement dans notre pays mais partout dans le monde, souligne la présidente du Cropt, Aida Chekir lors de son allocution d'ouverture. Antibiorésistance : le pharmacien en première ligne Le rôle du pharmacien dans la mise en œuvre du plan national de lutte contre la résistance aux antimicrobiens a été l'un des thèmes les plus pertinents. Il a été abordé par les deux représentantes de la Direction de la pharmacie et du médicament (DPM), puisque nous assistons à des impasses thérapeutiques, aussi bien en milieu hospitalier qu'en milieu communautaire. Depuis leur découverte, les antibiotiques ont été une arme puissante pour combattre les maladies infectieuses humaines et animales. Chaque fois qu'un nouvel antibiotique est mis sur le marché, des résistances sont découvertes dans la foulée, d'où le risque majeur de se retrouver désarmé face à des bactéries encore plus résistantes à tous nos antibiotiques, souligne Dr Dalel Kamoun de la DPM, relevant du ministère de la Santé. A ce propos, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation mondiale de la santé animale (Omsa) ont déjà tiré la sonnette d'alarme. En effet, 4,9 millions de personnes seraient décédées en 2019 de causes associées à l'antibiorésistance. Pour sa part, Dr Samiha Toumi de la DPM a évoqué le plan mondial de lutte contre la résistance aux antimicrobiens déclenché par l'OMS. Selon elle, notre pays a répondu à la lutte avant le déclenchent de ce plan, par la création en janvier 2015, d'un comité technique de lutte contre la résistance bactérienne aux antibiotiques. Après avoir intégré le réseau international de surveillance de l'antibiotique en mai 2016, la Tunisie s'est engagée à mettre en œuvre un plan d'action national ratifié en 2019 par les deux ministres de la Santé et de l'Agriculture, selon l'approche «One Health» intégrant santé humaine, animale et environnement, ajoute la même source. Appuyer l'informatisation au niveau des officines Le plan d'action national aligné au plan d'action mondial de l'OMS a été mis en place pour le quinquennat 2019-2023, répondant aux quatre objectifs généraux , à savoir la sensibilisation du grand public et des professionnels de la santé humaine et animale aux enjeux individuels et collectifs liés au mauvais usage des antibiotiques, le renforcement de la base des connaissances, la réduction de l'incidence de l'infection grâce à des mesures efficaces d'assainissement, d'hygiène et de prévention et la rationalisation de l'usage des antibiotiques en santé humaine et animale. La DPM fait un suivi annuel des ventes des médicaments vétérinaires qui contiennent des antibiotiques depuis 2018. C'est un marché de 60 tonnes par an, et qui est dominé à 75% par la production locale, d'après Dr Toumi. Selon elle, c'est un problème majeur de santé publique qui touche la santé humaine, animale, végétale et l'environnement. Ce phénomène est favorisé par le défaut de mesures d'hygiène et l'usage non rationnel des antibiotiques, d'où la nécessité de créer des laboratoires de microbiologie performants et d'appuyer davantage l'informatisation des officines dans les deux secteurs public et privé. Ceci sans oublier l'engagement politique et la motivation des professionnels de la santé. Les défis à relever sont inhérents au changement à opérer au niveau des comportements de la population et des habitudes de prescription des antibiotiques. Les Tunisiens, grands consommateurs d'antibiotiques Dans sa déclaration à La Presse en marge de cette journée, Dr Samiha Toumi souligne que notre pays dispose d'un réseau de surveillance des résistances factorielles qui couvre 22% des hôpitaux de notre pays. «On consomme en Tunisie 4 fois plus d'antibiotiques que les Pays-Bas et une fois et demie de plus que la France. Et là où il y a plus de consommations d'antibiotiques, il y a inévitablement un taux de résistance plus élevé». Et d'ajouter qu'un énorme progrès a été enregistré dans le cadre du suivi et de la lutte à travers la sensibilisation axée notamment sur la prévention. Toutefois, il subsiste toujours des défis liés, en particulier, au changement de comportement vis-à-vis de l'antibiotique, d'autant qu'une sous-estimation de ce phénomène est presque certaine, selon une étude élaborée par notre ministère de la Santé en collaboration avec l'OMS. Il faut également travailler davantage sur le volet de la prévention. A cet effet, il est utile de signaler qu'une unité est en cours de création au sein du ministère de la Santé. Encore faut-il renforcer la coordination entre les secteurs de la santé humaine, vétérinaire, environnementale et végétale dans le cadre de l'approche quadripartite adoptée actuellement dans la lutte, conclut Dr Toumi. Plusieurs ateliers de formation et d'information ont enrichi cette journée se rapportant à l'exercice officinal, à la conduite pour le pharmacien d'officine en 2024 et à l'entrepreneuriat dans ce secteur. «La formation scientifique continue est primordiale pour les pharmaciens, il faut la rendre obligatoire», a préconisé le président du Cnopt en Tunisie, Mustapha Laroussi. Un message clair à l'endroit de quelques pharmaciens qui sont gagnés par d'autres tentations.