Paradoxalement et malgré une batterie de lois pour la promouvoir, la femme rurale n'est pas encore arrivée au bout de ses peines. Il faut remonter à la fin des années quatre-vingt pour remarquer que la femme rurale commence à être perçue autrement qu'une simple aide ménagère. Deux décennies après, la législation la concernant est d'une telle ampleur que la femme rurale semble désormais à l'abri de tout aventurisme. En plus de l'esprit égalitaire émanant du Code du statut personnel, un ensemble de mesures, de textes de loi et d'institutions confortent l'idée que si elle est reconnue en tant que moteur de développement, la contribution de la femme rurale à cet effort doit être non seulement rétribuée mais également et en partant du principe «à compétences égales, salaire égal», rétribuée dans les mêmes proportions que l'homme. S'ensuit, pour atteindre cet objectif, tout un train de mesures et de recommandations pour soutenir les femmes rurales par la formation professionnelle, la vulgarisation agricole et pour certaines d'entre elles, par l'accès au transfert technologique. La réalité prouve que le droit à lui seul ne peut pas transformer les sociétés et qu'en l'absence d'un travail en profondeur auprès des masses, rien n'est aussi immuable que l'on est tenté de le croire. Car, toutes les études et les recherches le prouvent: la femme rurale est le vrai moteur de développement du secteur agricole. En plus des tâches ménagères, de la prise en charge des enfants, de l'entretien des animaux domestiques, les femmes rurales comme le relève la FAO dans une fiche documentaire( Tunisie: les femmes, l'agriculture et le développement), «sont responsables du binage et du sarclage des mauvaises herbes, ainsi que des soins au bétail élevé sur l'exploitation familiale, du traitement et du stockage pour la consommation familiale ou la vente sur le marché des produits agricoles et artisanaux». Dans certaines régions, la proportion des femmes travaillant la terre dépasse même de loin celle des hommes. Ainsi en est-il des gouvernorats à fortes productions maraichères et arboricoles où le pourcentage dépasse les 50% comme à Nabeul où il frôle les 65%. Une image significative L'image de femmes pliées en deux à sarcler et qui ponctuent les champs de la profonde Tunisie est certainement, une des images les plus ordinaires de notre paysage rural. Image confirmée par les chiffres; le secteur de l'agriculture englobe en effet le cinquième des femmes qui travaillent. Pris à la loupe, les chiffres révèlent un statut de celles-ci plutôt fractionné avec 5,6% d'entre elles comme exploitantes, 7,5 % comme salariées permanentes et 37,3% en tant qu'ouvrières saisonnières. Cumulée avec les tâches d'aides ménagères, cette dernière tranche arrive à atteindre 64% de l'ensemble du travail des deux sexes. Une étude de compilation de données, à partir de différentes recherches sur la femme rurale en Tunisie et effectuée par Mabrouka Gasmi en 2003, montre que: -Environ 80% des femmes sont des aides familiales -Elles assurent en moyenne 200 journées de travail par an -Elles constituent une force de travail dans l'agriculture équivalente à 76% -Elles déclarent effectuer 10% de journées de travail de plus que les hommes -Elles contribuent à 39% de journées de travail. Comment expliquer que malgré cet effort remarquable à la vie active, la femme rurale n' arrive pas ou difficilement à être récompensée en conséquence? Différents facteurs semblent à l'origine de cette situation. D'abord, l'immense majorité des femmes ne sont pas propriétaires des exploitations sur lesquelles elles travaillent. Ces dernières appartiennent à l'époux et avant que la femme ne soit mariée, au père. Selon une étude de la sociologue Aziza Mdimegh, «à peine 14% des femmes déclarent être propriétaires des terres qu'elles exploitent. Ces résultats, remarque-t-elle, confirment une caractéristique culturelle fondamentale du système foncier tunisien actuel, dont la matrice est, pour l'essentiel encore, de type traditionnel». La terre va aux hommes et même celles qui arrivent à hériter, elles cèdent leurs parts à leurs frères une fois mariées. Cette pratique, relève A. Mdimegh «apparaît en retrait par rapport même au droit musulman qui octroie une part entière à l'héritier contre une demi-parts à la femme ». Dans certaines régions, telles que le Sahel, les femmes commencent à revendiquer leur part de l'héritage familial. Mais cela reste minime par rapport à l'ensemble du pays. A ce facteur déterminant en soi-même, il faut savoir que l'analphabétisme, frappe la femme rurale beaucoup plus qu'ailleurs. En 1999, 53,2% des femmes rurales de plus de 10 ans sont ainsi analphabètes contre 28,2% d'hommes ruraux et 26,4% de femmes urbaines. A cela il faut ajouter le dur travail caractérisant le monde rural et dont une grande partie échoue, on l'a vu, à la femme. Une batterie de mesures Cette situation n'a pas laissé indifférent. Les études et les recherches mettant l'accent sur l'écart entre monde rural et monde urbain par femmes interposées ont fait qu'une batterie de lois et de mesures ont ponctué les deux dernières décennies. Des mécanismes de soutien à la condition de la femme rurale ainsi que des institutions de tous genres sont mis en place au fur et à mesure que les difficultés apparaissent. En premier lieu et depuis 1998, les Tunisiens peuvent se marier sous le régime de la communauté des biens et même si cette pratique prendra du temps à être réellement «digérée», elle permet de combler un tant soit peu l'inégalité entre homme et femme et de permettre à cette dernière de profiter des biens acquis avec le mari. Une année après la promulgation de cette loi, chaque gouvernorat est tenu de créer une commission régionale de la promotion de la femme rurale et de faire siéger deux consultantes au Conseil régional de développement. Ces mesures furent suivies à la fin de l'année 1999 par le Plan de promotion de la femme rurale dans le but de «dynamiser les aptitudes productives de cette dernière et de la protéger contre toute forme de discrimination» .Pour celles qui disposent d'un niveau d'instruction supérieur, il leur est permis de bénéficier de microcrédits auprès de la Banque tunisienne de solidarité. A ce titre, et en 2001, 36% des bénéficiaires auprès de ladite banque furent des femmes contre seulement 10% en 1997. Les dernières mesures présidentielles en faveur de la femme rurale et les recommandations concernant l'étude sur les causes de l'abandon scolaire ainsi que l'évaluation des programmes de formation professionnelle dans les centres de la jeune fille rurale montrent que la femme rurale demeure au centre des préoccupations majeures.