On ne se lassera pas de tirer la sonnette d'alarme sur l'interventionnisme de plus en plus déclaré des ONG et des associations professionnelles dans la vie politique. Maintenant, elles légifèrent puisque «les députés en sont incapables» Hier, Youssef Chahed, le chef du gouvernement d'union nationale désigné, clôturait, ses consultations en vue de la formation de son gouvernement, en recevant deux délégations, la première au nom de Machrou Tounès, la seconde au nom de Nida Tounès. Parallèlement, Habib Essid, le chef du gouvernement de gestion des affaires courantes, conférait avec les membres de l'Instance nationale de prévention de la torture et ordonnait de verser au profit de l'Instance une avance pour lui permettre «d'accomplir sa mission en attendant le budget 2017, dans la mesure où l'instance élue en juin 2016 ne dispose pas de crédits qui lui sont consacrés dans le cadre du budget 2016. Et selon le communiqué rendu public par le service communication de la présidence du gouvernement, la présidente de l'Instance, Hamida Dridi, et les membres l'accompagnant ont fait part à Habib Essid «des difficultés matérielles et logistiques entravant l'action de l'Instance qui n'a toujours pas de siège». Le communiqué ajoute : «Le chef du gouvernement s'est montré compréhensif envers la situation de l'instance et les revendications de ses membres». Et à lire profondément le communiqué du palais de La Kasbah comptant exactement huit lignes, on comprend que Hamida Dridi a reçu une promesse d'une avance financière dont le montant n'est pas précisé et a bénéficié aussi de la compréhension du chef du gouvernement de gestion des affaires courantes pour ce qui est des difficultés qu'elle trouve à entamer son action. En d'autres termes, ceux qui vont s'adresser à l'Instance et lui demander de leur rendre justice à chaque fois qu'ils subiront des actes de torture doivent attendre encore jusqu'à ce que l'Instance réussisse à se procurer un local où les recevoir et s'équiper en armoires ou placards où ranger les dossiers qui lui parviendront. La gouvernance parallèle poursuit son œuvre Et en attendant que l'Instance nationale de prévention de la torture ouvre ses portes pour recevoir les plaignants, les organisations non gouvernementales (ONG) et les associations professionnelles poursuivent leur quête visant à s'approprier le pouvoir, à gouverner effectivement, à publier les rapports les plus précis sur le degré de corruption gangrenant à l'heure actuelle l'administration tunisienne et à dévoiler ces vérités douloureuses que nous attendons de la part de Youssef Chahed mais qui nous sont offertes par I Watch, Al Bawsala et Human Rights Watch. La dernière est l'annonce faite jeudi 4 août par Raoudha Karafi, présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), précisant que «l'Association a déposé auprès du bureau de l'Assemblée des représentants du peuple un projet de loi relatif à l'organisation du pôle judiciaire économique et financier, à titre de contribution à la consolidation de l'effort national tendant à la lutte contre la corruption, compte tenu du rôle qui revient à la justice et aux juges dans cette tâche». Et la présidente de l'ATM de relever : «La lutte contre la corruption est avant tout une affaire de justice et doit passer par la justice». Elle n'oublie pas que le gouvernement a déjà soumis à l'ARP un projet de loi sur l'organisation du pôle judiciaire et financier qui exerce ses fonctions depuis deux ans. Seulement, aux yeux de l'AMT, «le projet gouvernemental ne répond pas aux attentes, contrairement à celui de l'Association qui se fonde sur une vision plus large». L'AMT ne compte pas, par ailleurs, s'arrêter en si bon chemin puisqu'elle prépare actuellement un autre projet de loi qui s'intéresse à la lutte contre le conflit d'intérêts et le lobbysme. Ainsi, les magistrats ont-ils décidé de prendre les choses en main, à travers leur association et de supplanter les députés qui «n'ont pas accompli leur mission en matière de lutte contre la corruption et qui ne semblent pas pressés pour le faire». Du côté de l'ARP, silence et bouche cousue dans la mesure où on ne sait pas si le projet de loi déposé par l'AMT a été accepté ou non et s'il a été rangé dans le registre du bureau de l'Assemblée, l'on se demande sur quels critères, on a agi. Faut-il rappeler que selon la Constitution, l'initiative législative est accordée exclusivement au président de la République, au président du gouvernement (au nom des ministères) et aux députés à condition qu'ils soient dix au moins à présenter un projet de loi. Il semble malheureusement que cette disposition constitutionnelle n'est plus d'actualité puisque déjà l'organisation I Watch a soumis un projet de loi à l'ARP sur la lutte contre la traite des personnes. La question que l'on se pose avec insistance : qui peut arrêter les associations professionnelles et les ONG qui profitent de la confusion régnant sur la scène politique nationale pour arracher des compétences et des attributions n'ayant aucun rapport avec leurs domaines d'activité et se présentent comme les justiciers tous azimuts ? Pire encore, beaucoup de Tunisiens n'ayant plus confiance en les pouvoirs publics ou même en les nouvelles instances constitutionnelles comme l'IVD ou l'Instance de lutte contre la corruption préfèrent solliciter l'intervention des ONG qui peuvent, le cas échéant, leur proposer des avances sur les indemnisations qu'ils réclament.