«Le virage dans une carrière est différemment interprété. Les supporters parlent d'infidélité, les joueurs pensent à un surplus d'adrénaline...» Il a été un footballeur doué et un véritable gentleman. Son rayonnement a été évident et sa longévité sportive impressionnante et à prendre pour exemple. Abdelhamid Hergal, ce talentueux joueur stadiste, a évolué au plus haut niveau durant plus de seize ans. Seul son palmarès est demeuré quelque peu inachevé. C'est peut-être pour cette raison que le Soulier d'or et meilleur buteur du championnat de Tunisie en 1989 a opté pour l'EST lors de la saison 1992-1993. Il en parle comme si c'était hier : «Après un intermède à Oman, j'ai regagné le Stade Tunisien et joué dans la foulée ma troisième finale de Coupe de Tunisie face au Club Africain. J'ai par la suite signé une licence au profit de l'EST. J'ai eu des difficultés pour m'accommoder et m'adapter. Certes, je n'ai pas beaucoup évolué mais j'ai au moins partagé avec les joueurs de l'Espérance mon premier titre national. Bien entendu, ce titre, je voulais le partager avec le Stade Tunisien, mon club de cœur. Mais c'est la dure loi du football. J'aurais tellement aimé brandir ce trophée avec Mondher Ben Jaballah, Hichem Ncibi, Néjib Limam, Abdelkader Rakbaoui et le grand André Nagy. Mais c'est comme cela. Vous savez, même si un joueur pense à se constituer un palmarès et à évoluer en sélection, rien ne vous transporte comme un derby (ST-CA, EST-ST et CA-EST) ou un Classico. Des frissons vous traversent dès l'entrée du tunnel menant au terrain. La pression est là. La motivation est à son paroxysme et il s'agit surtout de la réguler pour ne pas la transformer en anxiété. J'ai joué quelques minutes lors du derby de 93. Je n'ai pas été titularisé mais j'en ai tiré quelques dividendes et les enseignements qui s'imposaient. Même au Stade Tunisien, les jours de derby, je n'étais pas toujours sûr de jouer. Car, à titre d'exemple, Nagy avait une conception très particulière du football. Vous savez, il ne suffit pas d'être cadre ou meneur d'une équipe pour assurer ses arrières. Nul n'est indispensable. Sauf que les jours de derby ou de Classico, les joueurs cadres vivent la relégation sur le banc comme un supplice. Même l'équipe de Tunisie ne vous procure pas quelques compensations. Les grands formats locaux, c'est là qu'il fallait être. Sous la casaque de l'EST, j'ai vécu le choc face au CA sur le banc et j'étais intenable et inconsolable. Frustré même parfois. Le titre de meilleur buteur, le Soulier d'or, le lob des quarante mètres de Shilton, une carrière internationale garnie, c'est important, mais parfois le choc entre frères ennemis vous apporte l'adrénaline. En ce temps-là, nous étions encore amateurs et le professionnalisme (du point de vue structurel) ne courait pas vraiment dans nos veines. On a considéré mon passage du ST à l'EST comme étant une infidélité. Les mentalités étaient en ce temps-là tout autres. Même il n'y a pas très longtemps, c'était le cas en Europe. Regardez ce qu'a vécu Luis Figo, passé du Barça au Real Madrid. Notez la réaction des supporters de Naples après le passage de Higuain à la Juventus. Moi, je voulais juste être couronné au crépuscule de ma carrière. J'ai aussi mis un point d'honneur à réintégrer le Stade par la suite. A l'EST, je n'étais pas vraiment un attaquant de soutien où je pouvais tirer mon épingle grâce au contre-pied, crochets et à la vélocité. Au Stade, j'avais plus de champ. Quand je me rappelle les victoires du club bardolais face au CA par 4-0 en 1984, le succès sur l'ESS (2-1) à Sousse en 1983, je vibre comme si c'était hier. Malgré l'adversité, disputer de grands chocs face à des joueurs qui ont acquis une maturité footballistique, tels que Agrébi, Mohieddine, Ghommidh et Hédi Bayari, est quelque choqe d'inoubliable. Ces souvenirs sont l'égal de mon épopée en sélection où j'ai pourtant joué 74 matches et marqué douze buts.