Loin des méandres vaseux de la politique, notre personnage emprunte des voies simples et transparentes pour essayer de comprendre et d'expliquer ce qui se passe sur la scène publique. Tout dernièrement, et depuis qu'il s'est aperçu que, par enchantement, tout un chacun se voyait chef de gouvernement, « Am Ali, Attar El Houma» (L'oncle Ali, l'épicier du quartier) est devenu passionné de politique. Lui qui se contentait de la gestion d'un petit commerce et de la tenue d'une comptabilité simplifiée, se découvre, subitement, un talent pour la politique. Et pour cause. En fait, cette fulgurante découverte était favorisée par un ensemble de faits, qui ne pouvaient pas passer inaperçus aux yeux de quelqu'un de scrutateur comme lui. Un bon nombre de ses ex-clients, qui n'avaient aucun rapport, ni de près ni de loin avec la politique, sont devenus des hommes et des femmes politiques notoires. Et comme leur statut social et donc financier a changé, ils ont quitté le quartier populaire pour habiter dans des quartiers résidentiels. Et ils ont même amené avec eux leurs proches et leurs amis qu'ils ont affectés au domaine des affaires. Depuis ce temps-là, qui remonte aux élections de 2011, il est devenu très attentif à ce qui se passe autour de lui. C'est pourquoi, lors de celles de 2014, il a mieux scruté les comportements de tous les habitants du quartier pour y déceler d'éventuels indices de changement de situation. Les procédés étaient pratiquement les mêmes : devenir membre actif dans un parti politique fortuné et user de moyens financiers et logistiques impressionnants pour se faire entourer d'un nombre très important de sympathisants et s'assurer, ainsi, la victoire aux élections. Et là, comme d'habitude, les nouveaux fortunés, dont le nombre augmentait, ont emboîté le pas à leurs devanciers, et petit à petit le quartier commençait à se vider. Ce qui inquiétait le plus notre épicier dans tout ça, ce n'était pas leur départ, mais plutôt le déficit qu'ils lui ont occasionné. En effet, ils l'ont presque ruiné, à cause du non-paiement des crédits qu'il leur octroyait à longueur de mois et d'années. Et s'il n'a pas fait faillite, c'était grâce aux nouveaux arrivants venus des zones de l'intérieur, qui fuyaient la faim et la misère, étant persuadés qu'en s'installant dans la capitale leurs peines seraient soulagées, niant par là qu'ils ne faisaient que grossir les rangs des laissés-pour-compte et des marginalisés. Ces infortunés placent, toujours, tout leur espoir et toute leur confiance dans les gouvernements successifs qui leur ont promis des solutions radicales et des lendemains meilleurs. Donc, après la désertion de ces nouveaux riches, qui peuplent dorénavant le paysage politique ainsi que le milieu affairiste, «Attar El Houma » a été repêché in extremis alors qu'il frôlait la banqueroute, par ces miséreux qui sont venus pallier ce vide et se substituer aux clients qui ont déguerpi sans même payer leur dû. C'est vrai qu'ils ne sont pas de grands consommateurs à l'image de ces derniers, qui s'approvisionnaient avec frénésie, et que leur consommation se limite aux produits nécessaires à leur subsistance, mais ils payent les crédits que leur accorde l'épicier, aux échéances convenues. Et c'est ce qui importe le plus pour un petit commerçant afin que ses affaires puissent tourner rondement. Cette relation de confiance lui a permis de sortir de l'ornière, de relancer son commerce et de faire fructifier son portefeuille clients. Cependant, malgré cette reprise salutaire, il craint une éventuelle rechute qui serait fracassante, cette fois-ci, et où il lui serait très difficile de se remettre sur pied, parce que la procession de ces « guetteurs d'occasion » risque fort de s'allonger avec le temps, surtout que de nouvelles échéances électorales sont à nos portes. Nous voulons parler, ici, des élections municipales et régionales. Une telle situation, si elle se produisait, participerait à envenimer davantage la situation, notamment, par l'appauvrissement de sa modeste clientèle, d'autant plus que l'économie nationale est loin d'être au diapason des attentes des Tunisiens. Les craintes d'« Am Ali » se sont doublées, lorsqu'il a suivi la séance plénière consacrée au vote de confiance au gouvernement dit d'union nationale. Il était courroucé en voyant certains de ses anciens clients, qui lui doivent de l'argent, occuper des sièges au sein de l'ARP, parler et voter au nom du peuple. Ce qui l'irritait davantage dans leurs attitudes, c'était leur flagornerie envers le chef du gouvernement désigné et qui lui rappelait celle dont ils usaient à son égard, lorsqu'ils venaient solliciter le décalage du remboursement du crédit et l'octroi d'un autre. D'ailleurs, certains parmi eux sont en train de mettre en lambeaux le parti politique qui les a fait (politiquement) naître pour préserver leurs intérêts égoïstes. Combien il aurait aimé que la question de confiance au gouvernement Chahed soit tranchée par référendum ! Et, bien avant cela, combien il aurait souhaité qu'on ait requis son avis sur ces personnes avant d'accepter leur candidature ! Car il est sondeur d'âmes et grand connaisseur d'hommes surtout par les temps qui courent et qui regorgent de phénomènes étranges dignes de la science-fiction la plus débridée...