Quand, mais quand donc finirons-nous de bouder notre plaisir ? Quand cessserons-nous de tordre le nez, et de pincer les lèvres, au nom d'une critique critiqueuse, pinailleuse, et tortueuse, à la recherche de la quadrature du cercle, et du sens caché de ce qui ne se veut qu'évidence ? L'autre soir, dans les jardins du Palais Kheireddine, la fête était joyeuse, explosive et partagée. «Hadhra» de Fadhel Jaziri clôturait le festival de la Médina. Le spectacle, dont on avait dit pis que pendre, était magnifique, et le public en adhésion totale. On a dit, mais peut-être pas assez, la maîtrise remarquable d'une chorégraphie éclatée sur plusieurs niveaux de plateaux, et où, à chaque instant, et dans chaque angle, il se passait quelque chose. On a dit, mais est-ce suffisamment, la somptuosité des costumes, robes d'infantes, ou parures baroques, s'appuyant sur les matériaux et les broderies du patrimoine, mais les réinventant avec une imagination et une élégance dignes des plus grands créateurs. Ainsi que la superbe réinterprétation des snajeks aériens et translucides. Je ne me souviens plus si on a rendu hommage aux superbes chœurs de voix féminines, ces cantatrices pour la plupart inconnues, mais qui, certainement, ne peuvent le demeurer longtemps. Ce que je n'ai lu nulle part, par contre, c'est l'expression de la joie vibrante, explosive, contagieuse, des officiants, chanteurs, danseurs, choristes. Et celle, spontanée, sincère, du public, où les femmes poussaient des youyous, acceptant avec tolérance et sensibilité les «adaptations» offertes aux textes sacrés. Le public du Palais Kheireddine, ce soir-là, était plus ouvert, apparemment, moins sectaire semble-t-il, que celui dont on nous a dit qu'il avait sifflé, ou quitté la salle. Ou peut-être plus informé de ce à quoi il venait assister.Car c'est peut-être la seule chose que l'on puisse reprocher à Fadhel Jaziri: avoir laissé le malentendu s'installer en appelant Hadhra son spectacle. Et une autre chose, tout de même: avoir permis à des photographes, débraillés et sans gêne, d'évoluer sur le plateau, polluant la chorégraphie sans aucun respect pour les artistes qu'ils mitraillaient sous le nez, ni pour le public dont ils gâchaient le plaisir en leur occultant une partie du spectacle, et en brisant la magie.