Le ruban de goudron brille sous le soleil intense au- dessus du Douro et de son affluent, le Côa. Entre les murets de schiste poussent quelques oliviers et amandiers. Le minéral semble vouloir tout engloutir. La petite route flambant neuve débouche sur le Musée du Côa, entièrement consacré à l'art rupestre paléolithique et de l'âge de fer découvert dans la vallée du Côa, affluent du Douro. Nous sommes au Portugal. En 1994, à Canada do Inferno (le canyon de l'enfer), lieu-dit sur l'une des rives du Côa, un œil aguerri identifie la silhouette d'un animal gravé dans une roche. On procède alors à des sondages et des repérages pour construire le barrage sur la rivière Côa, non loin de son embouchure avec le Douro. Les spécialistes, sans le savoir, viennent de faire une extraordinaire découverte. «Nous ignorions ce qui nous attendait en découvrant Canada do Inferno; que d'une pierre gravée, nous allions aboutir à des dizaines puis des centaines et aujourd'hui des milliers de gravures. C'était une révolution : jusque-là, on pensait que l'art rupestre de l'époque paléolithique (20 000 ans avant notre ère) ne pouvait se trouver que dans des grottes, dont Lascaux et Chauvet en France et Altamira en Espagne, sont les plus beaux exemples», explique Alexandra Lima, archéologue, coordinatrice du musée du Côa. Il y a quinze ans, le barrage en projet menace d'engloutir à jamais les magnifiques représentations d'animaux de l'époque glaciaire, les aurochs (ancêtres des taureaux actuels, pesant le double de poids), les chevaux, les chèvres, les chamois et bouquetins. Naît alors le mouvement anti-barrage, première grande mobilisation civique du Portugal. Des jeunes installent leurs tentes sur les pelouses du monastère des Jeronimos à Lisbonne en signe de protestation, les intellectuels se mobilisent et les politiques entrent en jeu. Le président de la République de l'époque, le charismatique Mario Soares, reprend à son compte le thème d'un rap célèbre et lance: «Les gravures ne savent pas nager», ce qui met un terme au projet du barrage. En 1998, les gravures de Foz Côa sont inscrites au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco. En 1999, la découverte, au lieu-dit du Fariseu, d'une roche recouverte par des sédiments datés selon les méthodes de datation les plus modernes, a permis de mettre fin —ou presque—à la polémique sur l'âge des gravures. Un art énigmatique Outre son architecture réussie, le musée permet de rendre accessible un art rupestre difficile à voir et à comprendre. Certaines gravures peuvent atteindre 3 mètres, mais elles sont sous l'eau. D'autres sont minuscules, ou bien la superposition des traits ne permet pas à un néophyte de deviner leur présence sur une pierre. Sacrifiant au multimédia, les salles du musée, spacieuses et dépouillées, viennent compenser la difficulté, et se parcourent comme un livre d'histoire. Mais à chaque page, le mystère semble s'épaissir sur la vie de ces lointains ancêtres. «Les chercheurs ont pu reconstituer le modèle de vie de ces tribus. Sur les plateaux, les campements réservés à la chasse au printemps. La viande et la peau des animaux étaient traitées sur place selon les vestiges retrouvés. Ensuite, les chasseurs retrouvaient leurs campements habituels au fond de la vallée. L'ensemble de Foz Côa, qui s'étale sur 17 km au moins, montre l'importance de la région pour les tribus de l'âge de glace», précise Alexandra Lima. Pour le reste, c'est l'inconnu. «On ne peut que procéder par analogie. Eliminer les hypothèses. Mais on ne pourra probablement jamais comprendre qui étaient ces hommes, et comment ils vivaient», estime Mario Reis, archéologue au parc de Foz Côa. Concordance avec le site espagnol de Siega Verde Le chercheur et ses collègues (sept scientifiques) ont identifié près de 900 roches et recensé une soixantaine de sites. «L'inscription, le 1er août, du site espagnol de Siega Verde en Espagne (gravure paléolithique) au patrimoine mondial de l'Unesco apporte de l'eau à notre moulin. Nous pensons que cette région fait corps avec Foz Côa, en est peut-être un prolongement. Cela donne encore un peu plus de valeur à nos découvertes». Les pierres gravées étaient-elles des lieux de rendez-vous entre tribus ? Avaient-elles des fonctions spirituelles ? Y priait-on ? Servaient-elles à signaler les troupeaux ? Les théories se bousculent, les hypothèses s'annulent. Sous l'influence des archéologues français et italiens, très impliqués dans les fouilles de Foz Côa, l'analyse structuraliste semble s'imposer pour aborder l'énigme des gravures.