S'il est un lieu où l'histoire de la Terre est intimement mêlée à celle des Hommes, c'est la petite route, aujourd'hui bien goudronnée, qui mène aux thermes romains, restaurés et très utilisés, de Hammam Mellèg, à une douzaine de kilomètres au Sud-Ouest d'El Kef. L'approche Le long de la route joignant El Kef à Sakiet Sidi Youssef, en bordure d'un camp militaire, se dresse la coupole blanche de la Koubba consacrée à Sidi Abdallah Sghaier ancêtre de la tribu berbère des Charen … En une phrase, on a déjà cité El Kef, l'antique Cirta, capitale de la Numidie, Sakiet Sidi Youssef, le village martyr et la population antique de la région ! L'Histoire de la Terre ? Il n'est que de se retourner. Sur le ciel, se découpe le « V » très ouvert du synclinal perché du Jebel Dyr formé de calcaire dur à nummulites datant de l'ère tertiaire. Cette couche repose sur une très fine couche alluviale contenant de l'iridium. Ce métal, très rare sur terre, se rencontre surtout dans les météorites. S'il est donc abondant dans une couche d'alluvions recouvrant toute la Terre, il provient donc d'un énorme météorite qui aurait modifié complètement le climat et la vie sur Terre. Il aurait fait disparaître les dinosaures, il y a 65 millions d'années. Les nummulites ne sont apparues qu'après la catastrophe. Au bas de la pente, vers Sakiet, tout près de l'Oued Melah, on a découvert le site paléolithique de Sidi Zin datant de 100 à 200.000 ans ! En haut, dans les falaises du Jebel Dyr, s'ouvrent des abris sous roche ornés de peintures rupestres préhistoriques. A proximité de ces abris sous roche, coule la source consacrée à Sidi Mansour, près de laquelle on a trouvé une stèle mentionnant qu'une dame « Plancina, d'origine royale est inhumée là ». El Kef / Cirta est donc bien le berceau de la famille royale numide ! Il s'accroche aux pentes du Dyr depuis plus de 2500 ans ! La résistance algérienne Et la petite route ? Dès le carrefour, naguère d'étranges cavités, souvenirs d'un bombardement allemand du printemps 1943, la bordaient. Un peu plus loin, à proximité de belles villas modernes, subsiste le culte antéislamique de Lella Dellia, près de vestiges d'époque romaine ! Puis, la route serpente entre les fermettes isolées : souvenirs de l'habitat berbère dispersé, les bouquets de pins d'Alep et le camaïeu, tantôt vert tantôt doré, selon la saison, des champs de céréales: le Haut Tell est le pays du blé. Après une carrière peu profonde, un virage à droite puis un autre à gauche, et une belle, grande maison, on arrive devant une colline : Koudiat El Haria. A notre gauche, cachée dans les ravines, la couche alluviale d'El Haria contenant de l'Iridium. C'est une référence mondiale ! Un peu plus loin, on longe des dômes bordés de profonds ravines, creusées dans de l'argile fine et grise: le diapir du Jebel Debadib. C'est une énorme protubérance de sel – souvenir de la mer qui couvrait l'Afrique du Nord, il y a plus de 100 millions d'années – qui soulève des terrains alluviaux ! Et soudain, sur le plateau, à gauche de la route, une clôture en fil de fer barbelé isole la vieille ferme coloniale des frères Muzar. C'était le Poste de Commandement de Messieurs Ben Bella et Bou Medien. Ils y ont fêté l'indépendance de leur pays en 1962! Dans l'oued voisin, subsistent encore les vestiges des habitations des combattants alors que juste au bord de la route, un oléastre orné de chiffons multicolores signale la légende d'Oum Chlèlig : la « Mère des haillons » qui exhausse les vœux des femmes. Les Thermes romains On gravit une dernière côte : les talus qui bordent la route exposent des argiles bigarrées, vertes, violettes ou jaunes et, au col, on découvre la vallée du Mellèg : l'antique Muluccha, le fleuve-frontière entre le royaume de Jugurtha et celui de Bocchus, roi des Maures. Puis, la route serpente entre les bois de pins et on arrive au Hammam aux murs massifs, aux arcades dépourvues de voûtes et aux toits arrondis, patinés à l'ocre doré. Ils ont été bâtis vers les IIème-IIIème siècles de notre ère, au bord du fleuve aux méandres bleus quand il reflète l'azur, argent quand l'eau glisse sur les cailloux. L'eau thermale, chlorurée sodique, jaillit à 42° derrière le mur orné de deux têtes de lion de la salle antique réservée aux hommes. Cette station thermale est très fréquentée, surtout à la belle saison. Les curistes, depuis l'Antiquité, viennent y soigner leurs rhumatismes, leur arthrite, les traumatismes ostéo-articulaires et même des problèmes gynécologiques. Il paraît que, dans le temps, ce hammam s'appelait «Hammam Salhine: le Hammam des Saints ! Dans le ruisseau, exutoire de la source à la sortie du Hammam, à l'endroit où il se jette dans le Mellèg, les dames offrent de la « b'sissa ». Si une tortue d'eau vient avec ses petits, «Oum Dareb», la protectrice du lieu, lui donnera des «guerriers» : des garçons. Si la tortue vient seule, elle n'aura pas de progéniture mâle ! Cette contrée est pétrie de magie autant que d'histoire dont les piscines antiques tapissées de marbre et les forêts, aux senteurs balsamiques du Jebel Ouergha, qui nous séparent de Sakiet Sidi Youssef, nous parlent. Elles ont abrité des combattants tunisiens puis algériens. Le long de cette douzaine de kilomètres, on traverse avec plaisir des millions d'années d'histoire de la Terre et des hommes qui ont peuple cette contrée.