« Il ne faut pas omettre d'étudier de près les cas des fonctionnaires qui étaient soumis à l'obligation d'obéissance aux ordres de la hiérarchie » Le congrès national sur la justice transitionnelle a démarré hier à Tunis, il se tient sur deux jours. Etaient présents à l'ouverture officielle Ghazi Jeribi, ministre de la Justice, Sihem Ben Sedrine, présidente de l'IVD, Abderrahmane Hedhili, président du Ftds, et Omar Safraoui, président de la Coordination nationale indépendante de la justice transitionnelle. Organisé avec l'appui de la Confédération suisse, l'événement a vu la participation active de l'Association internationale des avocats sans frontières, représentée par Antonio Manganella, directeur d'ASF Tunisie. Cette rencontre s'adresse à l'opinion publique et notamment à la société civile qui « a pris ses distances » à l'égard du processus transitionnel. Les acteurs associatifs composaient d'ailleurs l'essentiel de l'audience. Au-delà de l'événement qui se veut un rendez-vous de réconciliation avec les différentes parties prenantes, cette rencontre est importante compte tenu des thématiques traitées, à savoir : le cadre juridique de la justice transitionnelle, réparations et préservation de la mémoire, révélation de la vérité et lutte contre l'impunité, ou encore réforme de la justice et de l'appareil sécuritaire. Près de neuf groupes de travail auront à plancher sur ces pistes de réflexion et d'autres. Une conférence de presse est prévue à l'issue du congrès pour la publication des conclusions qui s'en dégageraient. Les tonalités des interventions étaient différentes pour ne pas dire à l'opposé les unes des autres. Et c'est dans l'ordre des choses, chacun prêche pour sa paroisse. Entre le discours conciliateur porteur d'espoir du ministre, marqué d'opiniâtreté de la présidente de l'IVD et un brin alarmiste quant aux dangers qu'encourt la révolution des autres orateurs, l'analyse est intéressante. Faire aboutir le processus au-delà des personnes Le ministre de la Justice s'est voulu conciliant, il faut regarder les choses objectivement et se convaincre au besoin que ce qui a été réalisé est important, a-t-il rassuré. C'est une nouvelle expérience pour la Tunisie, et faites qu'elle soit la dernière, conjure Ghazi Jeribi, «parce que la justice transitionnelle s'impose après une dictature, forcément ». Le ministre a insisté sur l'exigence de faire aboutir la justice transitionnelle bien au-delà des personnes. Et en abordant la question épineuse de la reddition des comptes et des condamnations, il a mis en garde contre la tentation des sanctions collectives. Il ne faut pas omettre d'étudier de près les cas des fonctionnaires qui étaient soumis à l'obligation d'obéissance aux ordres de la hiérarchie, a-t-il mis en garde. Sihem Ben Sedrine a réitéré sa volonté d'aller jusqu'au bout du processus malgré l'adversité, les campagnes de diffamation et les obstacles, « il ne reste plus qu'un an et demi et nous avons une obligation de résultats, malgré les tentatives de nous en dissuader, nous irons jusqu'au bout », a-t-elle martelé. Mme Ben Sedrine annonce à cet effet la tenue de la première audition publique les 17 et 18 du mois courant. Au cours de son intervention, la présidente de l'IVD se dit forte de la confiance des Tunisiens dont peuvent se prévaloir l'Instance ainsi que le processus. En témoigne une enquête réalisée avec le concours de l'ONU qui a duré trois mois, en témoignent les 65 mille dossiers déposés à l'Instance par les présumées victimes. Dans le cadre des expériences comparées, la présidente de l'IVD a mis en valeur le caractère inédit du processus tunisien pour avoir lié la justice transitionnelle à la corruption. L'Etat de droit ne peut se construire alors que les malversations qui touchent l'argent public perdurent, a-t-elle alerté. MM. Hedhili et Safraoui ont mis en garde contre le risque d'embrasement du pays si les droits économiques et sociaux des catégories faibles continuent à être bafoués. M. Manganella a centré son propos sur la nécessité de mettre en place une démarche inclusive nationale entre les deux Tunisies, celle des côtes et celle de l'intérieur. Au final, si oui, la justice transitionnelle constitue un passage obligé pour jeter les bases d'un Etat de droit, il est de grandes zones d'ombre qui entachent ledit processus et méritent explication dans une séance publique, par exemple.