L'évasion fiscale a toujours suscité un débat dans les cercles économiques et politiques. Une problématique que les autorités concernées tardent à résoudre, en tête l'administration fiscale qui souffre elle-même de moyens humains et logistiques insuffisants pour la lutte contre le crime fiscal. L'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) a organisé, les 2 et 3 novembre à Tunis, une session de formation sur "La corruption dans l'administration fiscale et les services de recouvrement". Un thème qui trouve toute son actualité, selon Mohamed Ayadi, magistrat administratif et membre de bureau de l'Inlucc, avec le débat sur l'épuisement des finances publiques. "Ce débat a fait revivre un autre débat très important, celui de l'ampleur de l'évasion fiscale en Tunisie. On constate que les revenus fiscaux sont en baisse parce que le système juridique n'est pas adéquat avec la situation actuelle. L'administration fiscale doit avoir des moyens sophistiqués pour combattre le crime fiscal et faire face à toutes les formes de fraude fiscale", indique-t-il. Dans ce cadre, s'inscrit l'initiative de l'Inlucc d'organiser des cycles de formation au profit de ses membres, des juges et des représentants de plusieurs ministères, relevant essentiellement du ministère des Finances, la Direction générale des impôts, la Direction générale des finances publiques, la Haute instance de contrôle administratif et financier, la Cour des comptes, la Cour administrative. Formes diverses Ces formations sont assurées par l'Inlucc en collaboration avec des experts de l'Institut Ceeli, qui est un organisme indépendant à but non lucratif basé à Prague, se consacrant au renforcement de l'Etat de droit dans les pays en transition. L'objectif est de renforcer les capacités des participants dans la poursuite du crime fiscal qui, estime M. Ayadi, est un crime très complexe. Il indique que plusieurs moyens sont utilisés pour ce crime. Le rapport de la Commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption, sous la présidence de feu Abdelfatteh Amor, a révélé plusieurs actes de corruption commis par les proches de l'ancien régime. Ceux-là ont usé de leur pouvoir pour bénéficier de faveurs fiscales et de primes dans le cadre du l'ancien code de promotion de l'investissement. Il y a eu également des pressions de la part de la présidence de la république de l'époque pour abaisser les impôts et les taxes et également la suppression des crédits d'impôt, alors qu'il y a des lois et des mécanismes juridiques qui régissent cette opération. Une autre forme de corruption est la fuite des capitaux. Une opération qui a été également exercée fréquemment par les proches de l'ancien régime, utilisant des sociétés écrans pour les transferts bancaires. Ajoutons à cela les comptes bancaires dans les paradis fiscaux, en Suisse, au Panama, au Canada, à Dubaï, aux Iles Caraïbes, etc. La fuite des bénéfices est un acte qui était communément pratiqué en transférant les bénéfices des opérations d'importation et d'exportation dans des comptes à l'étranger. Moyens insuffisants Mais si les proches de l'ancien régime sont en tête de liste sur les bancs des accusés, les crimes financiers concernent également des personnalités dans la période post-révolution. Selon M. Ayadi, le phénomène de l'enrichissement illicite concerne plusieurs personnalités qui se sont rapidement enrichies cependant que l'administration fiscale trouve des difficultés à suivre les sources de leurs fortunes. "L'administration n'a pas les moyens humains et logistiques suffisants pour suivre ces crimes. Le nombre de contrôleurs fiscaux est très faible par rapport à la population concernée. On estime que seul 1% de cette population est contrôlé. Il y a aussi un manque de coordination entre les différentes structures concernées par la fiscalité bien que la loi exige que toute administration ou fonctionnaire ayant eu connaissance d'une opération de corruption doit informer les autorités concernées". D'ailleurs, un projet de loi concernant la protection des informateurs a été déjà soumis à l'Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), après approbation par le Conseil des ministres. M. Ayadi indique également qu'il y a des difficultés à prouver le crime fiscal. Ce qui fait que la Tunisie peine toujours à récupérer son argent à l'étranger. Concernant la question du secret bancaire, il affirme qu'il est important de le lever, mais il est aussi important d'établir des garanties juridiques pour éviter l'abus dans l'utilisation de ce droit. Il appelle à trouver le juste équilibre entre le droit de l'Etat à l'impôt, la lutte contre le crime fiscal et la corruption et la protection des données personnelles. «Il faut protéger les activités commerciales et faire attention à ce que ce droit n'entrave pas l'investissement et ne soit pas un moyen pour l'abus de pouvoir», explique-t-il. D'un autre côté, il est à noter que l'Inlucc est en train de finaliser la stratégie nationale de lutte contre la corruption. Elle suit aussi les dossiers de corruption soumis à la justice, au nombre de 500 environ. Selon M. Ayadi, l'Instance va se doter prochainement d'une structure pour la prévention et l'investigation, rassemblant des experts dans le domaine juridique, spécialisés dans les dossiers de corruption. Il souligne qu'un décret, promulgué en août 2016, a institué la création de cellules de bonne gouvernance dans tous les ministères, les gouvernorats, les administrations et les entreprises publiques afin de veiller à la bonne application des principes de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.