L'Aloès d'Or a été attribué samedi dernier à Selma et Sofiene Ouissi, fondateurs du festival d'art contemporain Dream City. Ce prix veut poursuivre l'œuvre de Hamadi Chérif, galeriste et promoteur culturel disparu en 2014. Son décès brutal le 10 février 2014 a bouleversé profondément ses amis : des artistes et des amoureux de la chose culturelle, tunisiens et étrangers, dont il aimait s'entourer là où il élisait domicile. Au départ, à Sidi Bou Saïd où, de retour de Genève et de Paris, il avait ouvert une galerie d'art dans les années 70. Puis à Djerba, au Dar Cherif, Centre d'art et de culture de Sidi Jmour, son projet de vie, sa passion, son héritage. Pour Hamadi Cherif, cet homme au sourire ensoleillé, le centre qu'il inaugurera en avril 2010 à Sidi Jmour représente «l'aboutissement d'un itinéraire international et d'une carrière mise au service de l'art», nous confiait-il à l'époque. Et c'est à la fois en hommage à sa mémoire et pour poursuivre son travail de mécène et de découvreur de jeunes talents que l'Association Aloès les amis de Hamadi Cherif, fondée en 2015, organise chaque année, à la date de l'anniversaire de feu Hamadi Cherif, le 7 décembre, l'Aloès d'Or. Un prix de 10.000DT, récompensant le travail, original et inédit, d'un jeune créateur dont l'art déborde sur la cité. En 2015, l'Aloès d'Or a été attribué à Mehdi Ben Cheikh, galeriste à Paris et initiateur de la célèbre opération Djerbahood. L'Aloès d'Or 2016 a été décerné, samedi dernier, à l'Acropolium de Carthage, en présence du ministre des Affaires culturelles, Mohamed Zine Abidine, et des ambassadeurs de France et de Suisse. Dans une ambiance de souvenance et de fête musicale, animée par le guitariste suisse de renommée internationale Christoph Denoth et le Quatuor tunisien Cadences, et baignée dans les lueurs tremblotantes de dizaines de bougies, on annonce les noms des heureux élus : Selma et Sofiene Ouissi. Fondateurs de Dream City, biennale d'art contemporain prenant place dans la médina de Tunis, Sofiène et Selma, frère et sœur et danseurs de carrière, ont su intégrer les territoires de la vieille ville et leurs populations dans leur projet artistique. Un projet, porteur d'ouverture sur les différents univers artistiques d'ici et d'ailleurs et sur l'autre quel qu'il soit. L'initiative, sous forme de parcours culturels dans la cité, avait déjà fait des petits, à Sidi Bou Saïd, il y a trois ans et à Sfax, voilà deux ans. Mais que vaut un tel événement sans rappeler l'esprit, le souvenir et les rêves de l'homme sans lequel cette association et ce prix n'auraient pas eu lieu ? Dans un long poème en prose écrit à la mémoire de Hamadi Cherif, le journaliste Hamma Hannachi, président d'Aloès et grand ami du défunt, a évoqué, dans un ton lyrique, la magie de Dar Cherif à Sidi Jmour, un lieu dont Hamadi Cherif a su ressortir, année après année, grâce à ses fonds propres, tout le potentiel, tout le génie. Edith Zach, la vice-présidente de l'association, Suissesse d'origine et Djerbienne d'adoption, soutiendra dans son discours adressé à Mohamed Zine Abidine, ministre des Affaires culturelles présent à la soirée : «Célibataire et sans descendants, il considérait le Dar Cherif comme son enfant, qu'il voulait offrir en cadeau à la postérité. En Tunisie, la fondation n'a pas une forme juridique reconnue comme en Europe. Et cela complique grandement l'organisation du soutien à ce centre culturel. Mais nous sommes persuadés que nous devons respecter ses dernières volontés. L'année prochaines lorsque nous célébrerons le 70e anniversaire de Hamadi, l'un des plus beaux cadeaux que nous pourrions faire à la Tunisie, à Djerba et à sa population serait de rouvrir ce centre de culture». L'appel d'Edith Zach a été longuement applaudi par l'assistance, nombreuse ce soir-là. Aujourd'hui, orphelin, délaissé, livré aux quatre vents de la Méditerranée, le Dar Cherif semble en attente d'une reprise en main, qui continuerait l'œuvre citoyenne de son fondateur.