Le secteur médiatique en Tunisie va de mal en pis. Les raisons de cette dégradation sont multiples. Outre les affaires de corruption qui touchent certains médias, à l'instar de la société confisquée par l'Etat, CactusProd, contre laquelle le Snjt a récemment présenté un dossier à la Haica, ou l'instrumentalisation d'autres médias, que ce soit par des partis politiques ou des hommes d'affaires, il y a la question des intrus dans ce secteur où tous les intervenants ne sont pas journalistes, c'est-à-dire diplômés de l'Ipsi (Institut de presse et des sciences de l'information). Une des raisons de la détérioration de la situation dans ce domaine, c'est l'inadéquation entre le diplôme et le métier exercé ou l'absence de diplôme. L'effet en est d'autant plus nuisible qu'il s'agit d'un domaine d'une importance capitale en cette période transitionnelle, et dont le rôle est déterminant sinon le plus déterminant de tous. «Le premier souci des employeurs et du Syndicat national des journalistes tunisiens est la qualité des médias pour qu'ils soient vraiment professionnels, ce qui impose la formation, le recyclage et, principalement, les diplômes scientifiques», nous confie Youssef Oueslati, le rédacteur en chef de notre confrère «Al Chaâb» et membre du Snjt. Cependant, cette volonté se heurte à plusieurs écueils, dont principalement les intrus. Et là, il faut distinguer deux choses : les bons journalistes ne sont pas seulement les diplômés de l'Ipsi, car les médias ont besoin de meubler leur matière médiatique avec d'autres spécialités, en économie, en sciences juridiques, en environnement et autres, en fonction de leurs sphères de spécialisation. Cela est de nature à permettre aux médias d'accéder à l'excellence qu'ils pourraient ne pas trouver dans la formation à l'Ipsi, et de tirer profit de cette catégorie de diplômés qui peuvent apporter le plus escompté. Corruption et instrumentalisation Cela n'empêche pas qu'un bon nombre des intervenants dans le secteur médiatique soient des intrus et ce à plusieurs niveaux, d'après notre interlocuteur. Tout d'abord, il y en a ceux qui vendent leurs matières médiatiques aux preneurs, en particulier dans les domaines sportif et politique. En deuxième lieu, nous trouvons ceux qui sont manipulés soit par des parties financières influentes et des corrompus invétérés ou bien par des parties politiques. Cela apparaît à travers les tentatives de la part d'hommes d'affaires d'investir dans le secteur médiatique, à l'instar des expériences de transition démocratique partout dans le monde, où on voit plusieurs de ces fortunés corrompus, qui appartenaient aux anciens régimes déchus, créer des médias, que ce soit des journaux, des radios ou bien des chaînes de télévision, dans le but de maquiller leurs crimes, échapper au jugement et se faire une nouvelle virginité. Par conséquent, ceux qu'ils recrutent pour travailler dans ces établissements médiatiques ne respectent pas, à leur tour, la déontologie de la profession, étant donné qu'ils ne sont pas journalistes, et présentent une matière médiatique qui préserve les intérêts de leurs recruteurs. «A preuve, les cinq ou six journaux qui sont apparus au début de la révolution, en 2011, que possédait un homme d'affaires corrompu, qui ont disparu par la suite et où 95 ou 99 % de ceux qui y travaillaient étaient des intrus qui lui inféodaient leurs plumes», rappelle le syndicaliste. Encore aujourd'hui on trouve certains médias derrière lesquels il y a des hommes d'affaires corrompus et extorqués par certaines parties, en contrepartie de l'annulation de leurs procès ou de leur blanchiment juridique. «Ces pratiques illicites et immorales s'expliquent par le ralentissement délibéré du processus de la justice transitionnelle», tient à préciser Youssef Oueslati. Toutefois, il nous fait savoir que les dépassements sont beaucoup plus nombreux dans la presse écrite que dans l'audiovisuel, d'où la nécessité de mettre en place de toute urgence le Conseil de presse qui œuvrera à la résolution, même en partie, des difficultés de ce secteur. Conseil de la presse écrite Il importe de rappeler que les débats autour de ce projet — Conseil de presse — ont démarré il y a deux ans, quand plusieurs conceptions ont été avancées. «Il a été convenu que le gouvernement présente une proposition dans ce sens et que le conseil soit composé des différentes parties concernées, à savoir le Snjt, les patrons et l'opinion publique, par le biais d'organisations, telles que la Ltdh ou la Coalition de la société civile, ce qui permettrait à celle-ci d'être représentée au sein de ce Conseil et de pouvoir ainsi exercer son rôle de contrôle et de régulation», nous révèle Youssef Oueslati. Pour ce qui est de l'audiovisuel, il tient à préciser que la Haica a posé un ensemble de critères et n'a pas accordé d'autorisations à des parties suspectées de blanchiment d'argent ou autres, puisqu'elle n'a pas répondu favorablement à plusieurs demandes. Mais ceci n'empêche pas le fait qu'il faudrait se renseigner davantage sur ces demandeurs d'autorisations, d'autant plus qu'un homme politique est soupçonné d'être derrière «Radio Kelma», par exemple. Pour nous sensibiliser davantage sur les dangers qui guettent le secteur médiatique, le rédacteur en chef d'«Al Chaâb» nous rappelle la fameuse affaire des fréquences d'«El Hiwar Ettounsi» entre Slim Riahi et ses rivaux, et qui était tranchée dans le sens de la séparation entre le monde politique et celui des affaires, d'une part, et le secteur médiatique, de l'autre. «Malgré le rôle qu'elle a joué à ce niveau, les efforts consentis par la Haica demeurent insuffisants, comme le montre ce qui s'est passé à Nessma où on a présenté des terroristes libyens comme étant des analystes politiques, par l'intermédiaire d'un homme d'affaires notoire qui entretient des rapports avec les protagonistes du conflit libyen et qui sont venus régler leurs comptes dans les médias tunisiens ; ou bien les chamailleries entre ce dernier et un autre homme d'affaires non moins notoire qui s'attaquaient mutuellement à travers plusieurs chaînes de télévision qu'ils ont mobilisées pour cette fin, et il était clair qu'ils y ont investi de grosses sommes d'argent », accuse Youssef Oueslati. Il s'agit là de très mauvais exemples qui mettent au grand jour l'instrumentalisation des médias et l'immixtion d'intrus en leur sein, qu'ils soient de faux journalises, des hommes d'affaires ou des hommes politiques. C'est pourquoi la Haica est appelée à sévir contre les fraudeurs dans ce domaine, en se renseignant minutieusement sur le financement de certaines chaînes de télévision dont on ignore tout, et dont certaines sont même financées par l'étranger, toujours d'après notre témoin syndicaliste. D'ailleurs, «on trouve parmi ces établissements médiatiques des radios qui transgressent la loi en diffusant sans avoir d'autorisation, et en plus elles recrutent des gens qui n'ont aucun rapport avec le métier du journalisme. Ce qui accentue encore plus l'illégalité», conclut Youssef Oueslati. Mais l'instance de régulation de l'audiovisuel dispose-t-elle vraiment de moyens dissuasifs pour réprimer les auteurs de ces graves dépassements quels qu'ils soient ?