Jusqu'à son dernier discours à la tête de l'Ugtt, Hassine Abassi, porte-voix de l'un des récipiendaires du prix Nobel de la paix 2015, aura eu un franc-parler pour défendre l'esprit, la lettre et l'histoire de la première organisation syndicale. C'est sous haute surveillance et avec la participation de plus de 7.000 syndicalistes et invités que s'est ouvert hier le congrès de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt), avec pour mot d'ordre et devise : «Allégeance à la Tunisie, fidélité aux martyrs et dévouement aux travailleurs». Chauffés à blanc avant même le début des classiques joutes oratoires, les participants brandissaient des slogans plus politiques que syndicalistes. On entendait la foule crier : «Ennahdha et Nida, ennemis des martyrs, assassins de nos enfants, voleurs de notre pays», ou encore «le peuple veut la criminalisation de la normalisation». En tout, 38 candidats dont 5 femmes, répartis sur deux listes, se disputeront l'élection du nouveau bureau exécutif. La première liste emmenée par le secrétaire général adjoint Noureddine Tabboubi est, dit-on, consensuelle, elle comprend 8 personnalités du bureau exécutif sortant à l'instar de Samir Cheffi, Bouali Mbarki, Sami Tahri ou encore Hfaïedh Hfaïedh. La seconde est portée par un autre membre du bureau exécutif sortant, Kacem Afia accompagné de Lassaâd Yaâcoubi, secrétaire général du Syndicat général de l'enseignement secondaire, et de Salem Ghriss, membre du Syndicat général de l'enseignement de base. A propos de la participation féminine, Samir Cheffi s'est dit confiant. « Je suis certain que les congressistes vont élire des femmes », a-t-il déclaré. Deux candidates attirent l'attention des observateurs; il s'agit de Naïma Hammami du Syndical général de l'enseignement secondaire et de Samia Letaïef, membre de la Fédération de la santé. Emotions et malaise Moment fort de cette matinée d'ouverture, la « standing ovation » à laquelle a eu droit Hassine Abassi qui se retire du secrétariat général de l'Ugtt. La main levée avec le « V » de la victoire pour son dernier bain de foule, Hassine Abbassi s'est tenu debout pendant quelques moments sous les applaudissements et les slogans à la gloire de la centrale syndicale la plus puissante du pays. Mais lorsque lecture est donnée à la lettre adressée aux congressistes par le président de l'Assemblée des représentants du peuple, Mohamed Ennaceur, la foule siffle. Malaise parmi les dirigeants. Visiblement ému, Hassine Abassi fait le bilan de son mandat et se remémore les moments forts, les moments de joie et les moments de crise. Son mandat a vu ainsi un bouleversement historique sur les plans politique et social, « un bouleversement semblable à celui de l'indépendance », selon lui. Dans son allocution, Hassine Abassi affirme que depuis la révolution de 2010, encadrée par l'Ugtt, la centrale syndicale n'a cessé d'être la cible d'attaques, d'abord à travers des campagnes médiatiques, ensuite à travers des agressions contre ses locaux historiques. «Tout le monde se souvient de ceux qui ont mis des poubelles devant nos locaux et dénommés, injustement, "ligues de protection de la révolution" et qui ont attaqué le siège de l'Ugtt le 4 décembre 2012 », rappelle-t-il. Il rappelle également les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi et le statu quo à l'Assemblée nationale constituante. «C'est à ce moment que le Quartette a été mis en place et qu'une feuille de route a été élaborée pour nous conduire aux élections de 2014. Le résultat de cette initiative a été le prix Nobel de la paix qui reste une de nos plus grandes fiertés», a-t-il affirmé. Fier de ce qu'il a pu accomplir en compagnie du bureau exécutif sortant, Hassine Abassi a estimé que l'Ugtt est devenue incontournable « dans le quotidien du Tunisien ». « Nous étions contraints de nous positionner face à la guerre des idéologies », a-t-il notamment ajouté. Devant des militants syndicalistes qui ne cessent d'applaudir, il rappelle les « luttes » de la centrale syndicale pour revaloriser les salaires et éradiquer les mécanismes d'emploi précaires. « Suite aux recommandations du congrès de Tabarka, nous nous sommes engagés sur la voie de la démocratisation de la vie syndicale pour une meilleure représentativité des femmes et des jeunes et pour moderniser les structures », a-t-il déclaré. Lettre de Palestine Jusqu'à son dernier discours à la tête de l'Ugtt, Hassine Abassi aura eu un franc-parler, n'oubliant pas les principales revendications de la première organisation syndicale. Dans cette salle des sports d'El-Menzah archicomble, il demande de revoir le modèle de développement pour une meilleure inclusion des régions, de réviser la fiscalité pour plus d'équité et de déclarer la guerre aux « grands contrebandiers ». Sur un sujet d'actualité, celui du retour des terroristes, Hassine Abassi et la centrale syndicale sont intransigeants. Pas question de subir ce retour de manière forcée sous quelque forme que ce soit. Il s'est également opposé à la mise en place d'un centre pour les réfugiés en Tunisie en raison «de son incompatibilité avec les principes des droits de l'Homme». Non sans émotion, le secrétaire général de l'Ugtt remercie sa famille pour son soutien et promet aux militants de rester à leurs côtés, fidèle à l'Ugtt. «Je donnerai mon avis à chaque fois qu'on me le demandera», a-t-il déclaré. Autre moment fort de cette cérémonie d'ouverture, la lettre envoyée par l'activiste palestinien emprisonné dans les territoires occupés, Marouène Barghouthi. Solennellement lue par son épouse Fadwa Barghouthi, la lettre a touché l'auditoire par sa sincérité. Marouène Barghouthi qualifie l'Ugtt du «plus important syndicat dans le monde arabe » et appelle les Tunisiens à persévérer sur la voie du « consensus ». Dans sa lettre, il ne manque pas de s'indigner de la décision du tout nouveau président américain Donald Trump de transférer l'ambassade américaine à Al Qods. Mais il est confiant, persuadé que la victoire du peuple palestinien sera au bout du chemin, de la lutte.