Par Mourad Guellaty «Il y a des gens qui observent les règles de l'honneur, comme on observe les étoiles, de très loin." (Victor Hugo) Victor Hugo est un immense écrivain, poète, homme de théâtre, et homme politique français. C'est celui que tout un chacun a «rencontré», dans ses premières années d'école. Il est un homme dans la noble acception du terme: à travers ses portraits qu'on retrouve dans une multitude de publications, de son œuvre littéraire immense et d'une vie marquée par des combats multiples, ses amours haut en couleur, ses exils, et ses douleurs traduites dans des poèmes forts, d'une peine insondable, que son talent nous transmet en partage : Demain dès l'aube à l'heure où blanchit la campagne. Je partirai. Vois-tu je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps». Comment rester insensible, devant cette force de l'écriture, qui ravage notre âme et pénètre le cœur? D'autant plus, quand on sait qu'elle est dédiée à la mémoire de Léopoldine, sa fille disparue accidentellement à l'âge de dix-neuf ans. Hugo a été un homme politique, élu député, il a choisi la démocratie et contribué à l'élection de Louis Napoléon Bonaparte, dont il se sépare lorsqu'il observera sa dérive droitière. Il préféra l'exil aux ors du pouvoir en place. C'est tout de même un exemple d'une vie d'homme digne et courageux, qui nous interpelle tous, les uns et les autres aujourd'hui, dans ce pays de Tunisie, traversé par des dissensions incompréhensibles, privilégiant l'accessoire, les guerres partisanes, au principal, à savoir le sauvetage de la nation, de ses hommes, de ses femmes et de ses enfants. C'est de cette trempe d'hommes dont notre pays a besoin ! La Tunisie en quête d'elle-même et de ses alliés Où se trouve la Tunisie, ses hommes, ses femmes, ses jeunes, les militants, les politiques, et ses forces vives, existent-ils ? Certes, nous avons la liberté de parole, mais qu'en avons-nous fait ? Le pays se courbe sous l'effet du déclin économique et de la perte de ses valeurs ! Tous nos paramètres économiques chutent inexorablement, et le moral des troupes est en berne. Notre croissance est en chute, au mieux elle serait à 1%, alors qu'il en faudrait au moins cinq fois plus. Avec un tel taux, nous créons au mieux 17.000 nouveaux emplois alors qu'il nous en faudrait plusieurs centaines de milliers pour absorber «le stock actuel» de sans-emploi. Notre endettement est massif, et risque bientôt de rattraper notre Produit national brut annuel. Tous nos autres indicateurs économiques sont déclinants et la fronde sociale gronde. De plus, nos principaux alliés, traversent tous un cycle économique baissier, ils voudraient bien nous aider, mais ils n'en peuvent pas. Chez eux aussi la colère gronde contre ces pays «que nous aidons, et qui nous renvoient en contrepartie des terroristes allumés» L' extrême droite montre les dents et les crocs, elle est désormais en forme ascendante, en France avec le Front national et Marine Le Pen qui s'affirment, en Grande-Bretagne, où elle a rendu possible le «Brexit», ce qui a conduit au remplacement du Premier ministre européen Cameron, et à la consécration du très droitier Nigel Farage, et ailleurs en Europe, notamment en Italie, et aux Pays -Bas, bousculant des chefs de gouvernement au faîte de leur gloire. L'Allemagne est aussi menacée par des cris et relents extrémistes de droite, et les USA ont aujourd'hui le très conservateur Trump ! Enfin, les pays arabes ont, dans leur grande majorité, des régimes si durs avec leurs citoyens et si faibles, dès lors qu'ils sont menacés de l'extérieur ! Notre pays est donc méconnaissable, et autour de nous les mauvaises nouvelles se succèdent. Nous risquons de voir venir le jour où personne ne saura réagir à leur survenance ! Vivre avec la violence et le désordre Nous n'avons rien fait de mieux que de créer notre violence, «républicaine et révolutionnaire», comme si ceci pouvait mener à grand-chose. La violence, pas seulement ! Le désordre s'est invité aussi au festin post-révolution ! Désordre des esprits, des idées, celui des comportements, désordre physique qui conduit aux violences publiques, celui à l'intérieur clos des ménages, des institutions, des écoles, des hôpitaux, bref de tous les univers clos, dans lesquels, fautes de contrôle extérieur, s'exerce la puissance du mâle, de l'homme fort, appointé, désigné, au détriment de ses subordonnés, de ses redevables, des nouveaux esclaves de l'ère moderne. Notre violence est consolidée par ses références «suprêmes», celles de certains pays dits avancés, qui «swinguent» pour la plupart avec l'extrémisme de droite. C'est triste cette histoire de mur, que l'on veut créer avec le financement du Mexique, qui n'en est ni le porteur d'idée, ni le garant de ses bienfaits supposés ! Tout comme l'est également l'interdiction de visiter les USA, pour des ressortissants de pays dits musulmans, tous sans distinction de ce qu'est la réalité de la foi des uns et des autres ! Dans ce lot d'interdits figurent de grandes personnalités intellectuelles et artistiques, désormais empêchées d'aller recevoir un prix, qui les récompense non pas de leurs méfaits, mais bien pour la force de leur génie. Cette violence d'Etat, relayée, transmise par les nouvelles voies de communication, fruit du génie créatif des enfants du monde, nourrit les ressentiments, voire la haine des faibles aux forts, sentiments, diffus, pas très sélectifs, qui nourrissent la violence nationale et transfrontière. Désordre moral, avec les insinuations, les menaces, de toutes sortes qui sont le lot quotidien des gens faibles, en bute à la dictature du fort. Comment voulez-vous que les gens vivent, développent leurs capacités créatives, dans un univers qui joue constamment de cette relation du faible au fort ? Le stade ultime de cette spirale du déclin sera atteint lorsque la colère se meurt et la résignation s'installe. Nous vivons en temps réel, avec les bombes qui explosent ici et là, cette violence informe qui s'invite dans notre quotidien, sans prévenir, sans élégance et sans rougir. Les morts s'accumulent, chaque jour est un jour de deuil, non annoncé, ici et là. Notre capacité à nous révolter s'effrite, et pourtant il ne nous reste rien d'autre que cela. Ainsi donc, il existe, dans notre beau pays de Tunisie, des vieilles personnes, des jeunes filles, des handicapés, qui en temps d'hiver vivent avec un revenu, que la main n'ose écrire, n'ose révéler et qui pour certains sont condamnés à mourir, meurent de froid, de malnutrition, de maladies et d'absence de secours. Ils meurent dans l'ignorance générale et l'indifférence d'une société, en perte de moyens, de valeurs et d'elle-même. Cette société n'a pas tout perdu. Elle a conservé sa capacité à promettre tout et n'importe quoi, sachant que les promesses «n'engagent que ceux qui les reçoivent» ! Ce spectacle, morbide, de vieillards et de bébés disparaissant sous le regard de leurs proches impuissants, c'est cela notre Tunisie ? Oui à ce jour, c'est cela la Tunisie, le pays à deux images, et à deux vitesses ! Une «révolution du jasmin» au bilan contrasté L'image des premiers mois, des tout premiers mois, de la «révolution du jasmin» et celle, quelques mois plus tard, du pays du tout et n'importe quoi : l'aventurisme, l'arrivisme à tout crin, devenu un nid de terroristes, multiforme, multinationalité, aux diverses affiliations et aux nombreux visages, principalement celui de donneurs de morts. Un pays dont par ailleurs la parole libérée s'invite en permanence à un spectacle à vous faire perdre l'envie de regarder la petite lucarne, à vous couper l'inspiration ! Celui des adeptes du discours fleuve, dont on oublie le début quand on avance vers la fin, celui dont les auteurs se disent les enfants de la nouvelle ère, de la nouvelle société tunisienne, dans sa configuration réelle ou virtuelle ! Celle dans laquelle beaucoup «luttent» pour le bien du pays et roulent pour leurs intérêts personnels. Notre pseudo-révolution a enfanté un discours d'à peu près, et de facilités prises avec les réalités ! C'est terriblement décourageant de voir une partie de la classe politico-médiatique, et ses représentants supposés tirer le pays vers le haut, se comporter comme de «vilains petits canards», pour la plupart assoiffés par leur positionnement et leur seul futur. Pauvre Tunisie, jusqu'où vas-tu trébucher, décliner, sombrer? Il lui faudra beaucoup de temps pour se reconstruire après les années de dictature, suivies du désordre et de la fuite en avant. Car, que nous le voulions ou pas, nous naviguons à vue, dans la gestion de la chose publique, sachant que dans cette période de désordre, des esprits et des comportements, aucune prévision n'est possible, aucune anticipation n'est crédible. Il reste ce que nous faisons, faute de mieux, de la navigation à vue, avec le cœur plein de désagrément et la parole prometteuse ! Dégradation de l'espace public et médiatique Certains médias ont leur part de responsabilité dans cette atmosphère délétère qui mine nos mentalités, nos attentes, nos croyances naïves et nos énergies. Comment être inspiré quand le spectacle est de l'ordre du pugilat, sans l'escrime du ring ? Le spectacle médiatique d'un combat de poings, d'une lutte de points, des «ego» surdimensionnés, et des positionnements chaque jour ajustés, en fonction des évènements. Celui des sociétés tunisiennes, réelles et virtuelles, dont les citoyens pour la plupart, dans leur grande faiblesse, luttent, non pour le bonheur du pays, mais uniquement pour le leur. C'est terriblement décourageant de voir la classe politico-médiatique, pas toute, une partie d'entre elle, et ses représentants supposés tirer le pays vers le haut, se comporter comme de «vilains petits canards», pour la plupart assoiffés par leur positionnement et leur seul futur. Ils monopolisent les médias, de préférence audiovisuels, dont ils pensent faire un tremplin à leurs ambitions. Pauvre Tunisie, jusqu'où vas-tu trébucher, décliner, sombrer ? Le parler est un art que beaucoup, de nos jours, semblent ignorer. Le verbe, quand il est choisi, est une invitation, un chant, une musique. Quand il tombe dans le domaine public, et que ce dernier ignore sa valeur et sa grandeur, il est massacré et devient bruits et fureurs. Où se trouvent le pays, ses hommes, ses femmes, ses jeunes, les militants, les politiques, ses forces vives existent-elles ? Tous nos paramètres économiques chutent inexorablement et le moral des troupes est en berne. Comment ne le serait-il pas ? La Tunisie est méconnaissable, les mauvaises nouvelles se succèdent. Nous risquons de voir venir le jour où personne ne réagira à leur survenance ! Nous aurons atteint le stade ultime de cette spirale du déclin, lorsque la colère se meurt et la résignation s'installe. Nous vivons en temps réel, avec les bombes qui explosent ici et là, cette violence informe qui s'invite dans notre quotidien, sans prévenir, sans élégance et sans rougir. Les morts s'accumulent, chaque jour est un jour de deuil, non annoncé ici et là. Notre capacité à nous révolter s'effrite, et pourtant il ne nous reste rien d'autre que cela. Que faire ? D'abord rétablir l'ordre, d'une manière ou d'une autre, rien ne pourra se faire dans le désordre ! C'est à nos très nombreux tribuns de s'adresser au pays, et lui expliquer que pour son bien, il faudrait mettre un terme à cette chienlit quotidienne ! Certes, les Tunisiens n'en peuvent, plus mais... Cependant, ce n'est pas en cassant, en brûlant, en hurlant qu'ils pourraient réduire, du jour au lendemain, et la fracture sociale et les emplois qui s'envolent, sans être remplacés. Il est essentiel qu'une parole forte et crédible s'invite et s'exprime, un peu à la Churchill. Nous sommes bien en période de guerre pardi ! Nommé Premier ministre de Sa gracieuse Majesté, en 1940 en temps de guerre, il déclare pour son premier discours aux Communes:Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur» et invite le pays à «engager le combat sur terre, sur mer et dans les airs». Churchill et de Gaulle resteront dans l'histoire, pour avoir affronté les vents mauvais, avec obstination et courage. Ils ont contribué à la victoire des Alliés, sauvé leurs pays et leurs populations de l'aliénation ! La Tunisie est en guerre contre de nombreux adversaires : la violence, le terrorisme, le banditisme, la misère sociale, le nombrilisme ! Ce sont des adversaires nombreux et retors, et il y a lieu de les combattre avec courage et force d'âme. C'est dans les périodes de tempête que s'affirment les grands caractères, et nous en avons besoin ! Il y a lieu de se remémorer, continuellement, qu'une révolution est supposée être une transformation radicale des structures et des modes de pensée, non vers le moins bien, mais en direction du plus haut. Il est clair que nous attendons impatiemment que s'affirment et se répandent les élégances et les compétences, de nos élites et du peuple tunisien dans sa diversité, et que cesse cette crise morale qui nous ruine et nous dévore.