Des femmes qui, entre mythe et réalité, histoire et légende, ont façonné notre imaginaire, conditionné notre féminité, fait de nous leurs héritières. Cette semaine est celle de la femme dans le monde entier. Et cela nous a donné le désir de revenir sur ces cinq «valeureuses» à qui Sophie Bessis dédie un livre publié récemment par les éditions Elyzad : Elissa-Didon, la princesse fugitive qui créa Carthage et fonda une civilisation. Sayda al Manoubia, la sainte du XIIe siècle dont le culte n'a jamais failli. Aziza Othmana la princesse au grand cœur qui vécut au temps de la Régence et consacra sa vie et sa fortune aux démunis. Habiba Menchari, la féministe, qui, en 1929, refusa le port du voile, Habiba Msika, chanteuse adulée des années 20, belle et rebelle à la fin tragique. Cinq femmes qui, entre mythe et réalité, histoire et légende, ont façonné notre imaginaire, conditionné notre féminité, fait de nous leurs héritières. Cinq femmes à qui, plus ou moins consciemment, nous nous référons qu'il s'agisse de courage, de fidélité, de générosité, de foi ou de liberté. Cinq femmes qui sont, à elles toutes un condensé de la Tunisienne que nous voulons, que nous devons être. Alors, pour parler d'elles, Sophie Bessis oublie sa casquette d'historienne, et plonge dans la mémoire orale ou rapportée, celle des mythes, des légendes, celle des femmes, conteuses impénitentes devant l'universel, et de tout temps gardiennes de ce fonds commun de notre si spécifique féminité Mais comme on ne se refait pas, bien sûr, Sophie Bessis garde envers et contre tout ses réflexes d'historienne, puisant ses références aux meilleures sources, tempérant les affirmations contradictoires, n'oubliant jamais que l'Histoire a été écrite par les hommes, et sachant même interpréter les silences évocateurs qui frappent quelquefois les personnages qu'elle s'est choisis. Cinq femmes appartenant à cinq temps de l'Histoire, deux princesses et une sainte, une féministe et une cantatrice, évoluant sur une période de quelque douze siècles. Il faut avouer que le casting est peu banal, mais magnifiquement pertinent car chacune de ces femmes, pour une raison ou une autre, est sortie de son enveloppe humaine pour prendre les dimensions du mythe. «Chacune, à sa façon, a franchi la frontière du monde où les femmes sont invisibles pour entrer dans l'Histoire. En racontant leur vie, j'ai voulu comprendre pourquoi elles incarnent encore aujourd'hui des figures vivantes de la liberté». Pour raconter ces femmes que l'on ne présente plus, Sophie Bessis adopte une attitude loin de celle de l'historienne : celle de l'empathie : elle suppose, elle propose, elle se met à la place de son personnage, essaie de deviner ce que celui-ci a dû penser, croire, vouloir, craindre ou espérer. Elle offre des pistes, suggère des interprétations, remplit les blancs et traduit les silences. Cela avec un talent de conteuse, une logique de déduction, une rigueur d'historienne dans la façon de camper le décor, de situer le portrait dans le temps et l'espace, et le brio d'une grande plume. Car à aucun moment, le récit ne ralentit. Et ces histoires que nous connaissons tous se lisent comme un roman haletant. Sophie Bessis l'a bien annoncé : ce livre était une pause, un souffle dans son parcours savant et érudit. Nous lecteurs, nous lui en souhaitons d'autres.