Le congrès national des mouvements sociaux, dont les travaux se sont achevés dimanche dernier à Nabeul, sous le signe « diversité, résistance et solidarité », semble médiatiquement passer inaperçu. Alors que l'évènement méritait qu'on lui fasse la part belle. Car, de par son contenu, la dynamique d'acteurs engagés et les questions évoquées, on ne peut douter de ses prolongements dans le temps et dans l'espace. Le Ftdes, l'organisateur de la manifestation, n'a pas manqué de s'entourer de ses partenaires (Oxfam, Friedrich Ebert-Tunis et Réseau Euromed des droits de l'homme), afin de former une sorte de force d'appui prête à l'action. D'autant plus que toutes les coordinations régionales représentant les catégories sociales les plus démunies et celles vivant, longtemps, à la marge de l'œuvre de développement, s'y sont donné rendez-vous. Ainsi, ouvriers des chantiers, travailleuses dans l'agriculture, mineurs sous-employés, femmes du textile abusivement licenciées, victimes de la pollution et bien d'autres économiquement surexploités y ont trouvé une occasion propice pour mieux s'unir en front commun, défendre leurs intérêts et mettre la pression sur le gouvernement. En fait, dans leur déclaration finale, au terme de leur congrès, ils ont réitéré leur détermination à aller plus loin, sur la voie du combat jusqu'à ce que leurs éternelles revendications soient complètement satisfaites. Sinon, une nouvelle vague de protestations est perçue comme une bombe à retardement. Quitte à voir leur « propre révolution », couvant sous les cendres, éclater à tout moment. D'ailleurs, leurs mouvements sociaux avaient, ces derniers mois, tout bouleversé. Et à chaque fois, l'intervention tardive du gouvernement ne réussit pas à calmer les esprits, ses promesses étant restées, jusqu'ici, lettre morte. Sauf qu'une délégation de ses lieutenants prend, le plus souvent, le train en marche, se faisant passer pour les initiateurs des projets et du progrès. Mais atteindre « la solution-miracle », toujours décidée dans l'improvisation et la précipitation, tarde à venir. Et si le dialogue était la solution Les protestataires ont demandé au gouvernement d'être à l'écoute de leurs préoccupations et qu'il arrête d'opter pour des pratiques répressives que l'on croyait révolues. C'est que les multiples faux procès intentés à l'encontre de centaines des jeunes parmi eux ont donné, en soi, la preuve de son échec. Mais, face à ses manœuvres dilatoires, l'élan protestataire revient à la case départ. Au risque d'arriver à un point de non-retour. En conclave, trois jours durant, les participants ont fini par mettre le gouvernement devant ses responsabilités. Ils sont, tous, d'accord sur la nécessité de renouer avec un dialogue ouvert et constructif, à même de revoir l'actuel modèle de développement qui a montré ses limites. « Une économie de marché capitaliste à coût social très élevé-ç », juge-t-on. Et que la révolution populaire n'en a rien changé. « Sauf qu'une politique de fuite en avant qui veut nous mettre devant le fait accompli », s'indignent les congressistes, en plaidant pour des alternatives. Leur mobilisation s'annonce d'autant plus massive qu'ils devraient agir en réseau collectif, et dans le cadre d'une coordination nationale ouverte sur toutes les régions. Avec plus de tapage médiatique et une manière de communication différente. La concrétisation des objectifs de la révolution est leur cheval de bataille. Ce qui fait, souligne la déclaration, que les mouvements de protestation prendront une nouvelle tournure. L'expression revendicative demeure citoyenne et pacifique. Pour eux, il est temps de rompre avec l'emploi précaire, combattre les formes du licenciement abusif et rendre justice aux ayants droit. Et là, un nouveau contrat social consacrant le droit au travail décent leur paraît indispensable. En sont garants la constitution, les conventions internationales et les multiples protocoles des droits de l'Homme que la Tunisie avait déjà signés. Ses engagements sont aussi liés au droit au développement équilibré, à la santé et à un environnement sain, où il fait bon vivre. Démocratie locale, l'enjeu citoyen L'économie solidaire sociale a également figuré à l'ordre du jour du congrès, en tant que choix stratégique alternatif, susceptible de créer les richesses et générer l'emploi. L'encouragement à l'initiative privée est aussi de mise. De leur avis, l'exploitation des terres agricoles pourrait contribuer à la résolution du problème du chômage. Bien qu'elle ait été trop controversée, l'expérience de « Jemna» au sud tunisien était, à leurs yeux, avant-gardiste. Voire l'exemple type de l'économie solidaire. La généraliser, ça se discute ! Aussi, n'est-ce pas ainsi que s'exerce la décentralisation ? La quintessence de la démocratie participative, dirait-on. La question est telle qu'elle suscite l'intérêt des participants, dans la mesure où chaque région a ses propres spécificités. Et partant, elle est censée être la plus habilitée à savoir gérer ses affaires locales. En ce sens, l'Etat autoritaire se substitue par celui parraineur, superviseur, garant des dispositions constitutionnelles relatives à l'exercice du pouvoir local. De facto, la région s'érige en pôle de développement actif. La déclaration de Nabeul évoque ici « la coordination nationale des mouvements sociaux ne se limite guère au rôle d'observateur lors des prochaines élections municipales et régionales, mais elle veille à ce que ces échéances puissent changer la donne.. ». D'ici là, le syndrome des protestations ne pourra plus rester inactif, tant que l'Etat se campe sur la même position. Ce qui s'est passé, ces derniers jours, au Kef et à Tataouine, annonce la couleur : la trêve sociale n'a pas raison d'être. Que le gouvernement révise ses comptes. Face aux frondeurs, halte à la solution sécuritaire !