En attendant, la science politique, cantonnée dans un département des universités des sciences juridiques, demeure le parent pauvre de l'enseignement supérieur. Or, un métier politique est en train d'émerger avec évidence autour de la démocratie et de l'expérience tunisienne La Tunisie n'a pas son école de science politique. Un paradoxe. Après la révolution tout est devenu politique. Alors qu'au plan institutionnel et académique la discipline ne représente encore rien. Pas de statut, ni d'institut, pas de laboratoire, ni même d'unité de recherche. Le besoin de créer un établissement dédié à l'enseignement des études politiques, à l'instar de ce qui existe dans le monde, s'est fait alors cruellement sentir. Deux politistes plaident pour la création d'une Ecole nationale de science Po. Hatem M'rad et Hamadi Redissi ont entrepris des démarches auprès des autorités depuis un moment déjà. Munis d'un dossier complet, un rapport pédagogique, un programme de licence, et l'appel pour la création dudit institut signé par les doyens, les directeurs d'établissements supérieurs, des personnalités politiques et des politologues. Les deux universitaires avaient été reçus par le ministre de l'Enseignement supérieur du gouvernement de Habib Essid, Chihab Boudden. Une commission sectorielle de droit public chargée d'habiliter le programme des licences et des masters est censée trancher. Mais «une commission de droit public sera-t-elle compétente pour décider de la création d'une école de science politique ?». Le directeur général de l'enseignement supérieur, Jelal Bethahar, avait signifié dans une note l'insuffisance des perspectives professionnelles, ajoutant, toutefois, la possibilité de créer des licences dans les universités de droit, et ce, de concert avec les conseils scientifiques afférents. La commission sectorielle de droit public ajoute qu'elle n'est nullement compétente pour habiliter une demande d'ouverture d'un institut d'étude politique. En effet, précise à La Presse le professeur M'rad, la création d'établissement est du ressort du gouvernement et se fait par décret. Regrettant que relever des facultés juridiques, la science politique demeurera marginalisée. Les sciences humaines, la sociologie, la philosophie, l'histoire n'ont pas de perspectives professionnelles autres que l'enseignement, par ailleurs. Discipline multidisciplinaire La science politique peut se targuer, au contraire, de déboucher sur d'intéressantes perspectives et d'ouvrir des vocations. Tous ceux qui aspirent à intégrer des organismes internationaux et associatifs, être chargés de Com politique, de l'organisation des élections régionales ou nationales, ceux qui briguent des postes dans la haute fonction publique se destinent à suivre nécessairement une formation politique. La discipline a le mérite d'être multidisciplinaire et octroie une formation de synthèse, alors que les autres filières de l'enseignement supérieur sont souvent sectorisées. Des étudiants qui envisagent de faire carrière en politique sont acculés à faire du droit, se désole encore professeur M'rad. Des profils rares A l'ère nouvelle, un constat s'impose ; tout le monde se voit commentateur politique, s'improvise expert en science politique, ou veut devenir acteur politique. Or, ces candidats potentiels proviennent pour la plupart sinon tous d'horizons divers. Ils sont techniciens, hommes d'affaires, enseignants, avocats, médecins, architectes, ingénieurs. Résultat, le désordre est patent au niveau du débat, de l'information. Pire encore, la confusion est perceptible au niveau même de la prise de décisions. Certaines ordonnances de l'exécutif semblent improvisées, leurs retombées insuffisamment évaluées, critique encore Hatem M'rad. Or, les sciences du commandement, du pouvoir, de l'organisation de la vie de la cité, des institutions et de l'Etat sont initiées par la science politique. La prise de décision est un des chapitres étudiés dans les politiques publiques. Il faudra imaginer si le personnel politique tunisien disposait de la formation académique requise, l'impact sur le niveau du débat, sur l'organisation institutionnelle, et quant au fonctionnement du système politique d'une manière générale, fait-il valoir. «Cela étant dit, de fins politiques, à l'instar de Béji Caïd Essebsi ou de Rached Ghannouchi, n'ont pas suivi de formation spécifique». C'est le cumul de l'expérience, analyse professeur M'rad, l'expérience représente un critère important; Béji Caïd Essebsi est juriste, il a acquis une longue expérience aux côtés de Bourguiba, et a été associé à la construction de l'Etat; Rached Ghannouchi est un militant à la base, il a eu le temps et l'occasion pour acquérir les automatismes et les réflexes politiques. «Ce sont des profils rares». L'initiation est devenue indispensable. Les hommes politiques en France ont pratiquement tous fait science politique, apprend-on au fil de cette plaidoirie en faveur d'une grande école nationale des études politiques. En attendant, la science politique, cantonnée dans un département des universités des sciences juridiques, demeure le parent pauvre de l'enseignement supérieur. Or, un métier politique est en train d'émerger avec évidence autour de la démocratie et de l'expérience tunisienne. Ainsi et si la Tunisie est en passe de réussir sa transition démocratique, c'est bien le moment de créer une école qui puisse rayonner dans le monde arabe et en Afrique.