Le peuple tunisien avait revendiqué pacifiquement «un parlement tunisien», «un gouvernement national» et l'«abolition des privilèges» des colons et le colonisateur avait répondu par le feu Et le sang innocent d'un peuple opprimé coula à flots par les armes d'un occupant cruel censé le protéger. Ce jour-là, le 9 avril 1938, le peuple tunisien paya, encore une fois, le lourd tribut de la liberté au colonisateur français, pour avoir osé exprimer pacifiquement sa colère. La veille, le vendredi 8 avril, le peuple avait revendiqué haut et fort «un parlement tunisien», «un gouvernement national» et l'«abolition des privilèges» (traduire des colons et autres serviteurs de l'occupant), lors d'une manifestation pacifique massive, à Tunis, et montrait une effervescence sans précédent sur l'ensemble du territoire du pays. Il s'apprêtait, aussi, le lendemain à manifester de nouveau. Encore un crime perpétré par la puissance coloniale s'obstinant à refuser d'octroyer un minimum de droits à notre peuple qui pliait sous son joug depuis près de 60 ans, et qui avant l'occupation possédait un ensemble d'acquis, tels qu'une constitution ayant, dès 1861, instauré l'Etat de droit et des institutions et une démocratie représentative naissante. Aboutissement de plusieurs jours au cours desquels le peuplait grognait, ledit massacre coûta la vie à 21 martyrs, selon un bilan officiel, en plus des 150 blessés (près de 200 selon le Néo-Destour). Dix femmes seront arrêtées et se verront infliger des peines allant de 15 à 30 jours de prison. Cela à côté des milliers de leurs concitoyens masculins. Un crime qui donna un tournant positif et décisif au mouvement national. Depuis ce jour-là, le peuple tunisien, encadré et galvanisé par ses leaders, ne baissa pas les bras jusqu'à l'obtention, 16 ans plus tard, de son indépendance, le 20 mars 1956 puis, quelques jours après, l'élection d'une Assemblée nationale constituante, le 25 mars. Pour abolir, une année plus tard, la monarchie et proclamer la République, le 25 juillet 1957). Les événements de ce printemps-là transformèrent aussi le parti du Néo-Destour, (issu d'une scission ayant eu lieu le 2 mars 1934 au sein du Parti libéral constitutionnaliste ou Destour) en une véritable force populaire structurée et bien disciplinée au sein du mouvement national, malgré la dure répression qui s'abattit sur ses dirigeants. Ils consacrèrent aussi la position des représentants de l'aile dure de ce parti et ses jeunes leaders tels que Habib Bourguiba, Salah Ben Youssef, Mongi Slim, Youssef Rouissi, Slimane Ben Slimane, Hédi Nouira, Ali Belhaouane, et ce dernier comme « Leader de la jeunesse ». Ils conférèrent au Dr Mahmoud Materi, qui avait démissionné quelques semaines plus tôt de son poste de président du Néo-Destour (le 1er janvier 1938), le statut d'un homme de grande sagesse doublé d'un humaniste hors-pair à la rectitude exemplaire. Ils mirent également en valeur le rôle de la femme dans cette lutte. Il faudrait dire ici qu'après une légère embellie due à l'accession au pouvoir à Paris en 1936 du Front populaire, le ciel de la vie publique commençait en effet à s'assombrir en Tunisie. L'été 1937 fut donc orageux et l'automne tonitruant, puisque le congrès du Néo-Destour, tenu fin octobre à Tunis, décida, en réaction à la politique de musellement du mouvement national, de retirer à la France coloniale «le préjugé favorable» qu'il lui avait auparavant accordé. Un printemps tunisien L'hiver 38 s'annonça sanglant. Sept morts à Bizerte le 8 janvier, tués par les forces de l'ordre alors qu'ils manifestaient. Le pays s'enflammait lentement, mais sûrement, attisé par la tournée des leaders qui appelaient à l'affrontement avec les autorités coloniales et faisaient l'éloge du martyre. La désobéissance populaire commençait à prendre forme et les élèves de Sadiki y prirent part. Interdit le 10 mars de donner une conférence, Ali Belhaouane, professeur audit collège, défia les autorités coloniales et la donna le 12, malgré elles. Bras de fer qui lui coûta d'être suspendu le 25 mars de ses fonctions. C'est la grève du prestigieux collège. Début avril, les dirigeants du Néo-Destour ratissèrent le pays pour mobiliser le peuple, déjà exaspéré par tant d'injustice et de promesses officielles non tenues. Asphyxié par la misère et l'oppression, le peuple n'attendait qu'un signal fort pour agir. Sans aucun effet positif sur la situation, la mission de Bahri Guiga, l'émissaire du Néo-Destour auprès du Quai-d'Orsay, finit par rameuter les plus hésitants. Les arrestations des dirigeants cités plus haut commencèrent et le résident général de France, Armand Guillon, essaya de faire avorter les manifestations prévues les 8 et 10 avril. Grâce à son prestige resté intact, le Dr Materi put intervenir le 8 auprès des manifestants pour qu'ils se contrôlent et tout se passa bien. Belhaouane, le «leader de la jeunesse», s'illustrera deux fois au cours des événements des 8 et 9 avril. D'abord en conduisant l'une des deux manifestations du 8 décidée par le Néo-Destour (une grève générale a été également décidée). La seconde manifestation était conduite, elle, par le leader Mongi Slim. Ensuite en provoquant indirectement un attroupement houleux à Bab B'net, à Tunis le 9, devant le Palais de Justice, car convoqué à comparaître devant le juge d'instruction pour son rôle dans la mobilisation du peuple la veille. Attroupement qui se termina par le carnage cité. Alité, Bourguiba avait souhaité que les manifestations du 8 avril puissent aboutir à une répression sanglante car, selon lui, «il faut que le sang coule pour qu'on parle de nous», avait-il répondu, énervé, au Dr Materi venu lui rendre visite. Le sang coula donc le lendemain. Et quand des jeunes du parti vinrent l'après-midi du 9 l'en informer, Bourguiba leur dit d'aller exposer les dépouilles des martyrs aux chancelleries et aux ambassades. Impossible, car le soir l'état de siège fut décrété. Intransigeant, Bourguiba s'entêta pour que le mouvement soit poursuivi. Il fut arrêté le lendemain et le 12, le Néo-Destour fut dissous. Déportés et embastillés à fort St-Nicolas, les leaders ne seront libérés qu'en décembre 1942. Après la fin, en 1945, de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement national prendra alors une dimension internationale et la cause tunisienne ainsi que la décolonisation seront inscrites à l'ordre du jour de la communauté mondiale.