Par Abdelhamid Gmati La liberté de la presse est sérieusement menacée un peu partout dans le monde, y compris dans les pays dits démocratiques. Ce constat est fait, encore une fois, par l'ONG Reporters sans frontières dans son dernier classement mondial et affirme que « le monde est en train de basculer dans l'ère de la post-vérité, de la désinformation et des fausses nouvelles ». Il y est aussi évoqué « la paranoïa des dirigeants contre les journalistes et un climat de peur généralisée et de tensions qui s'ajoute à une emprise des Etats et des intérêts privés de plus en plus grande sur les rédactions ». Il est à rappeler que « publié chaque année depuis 2002, ce classement mondial se base sur une appréciation du pluralisme, de l'indépendance des médias, de la qualité du cadre légal et de la sécurité des journalistes dans 180 pays ». La Tunisie y figure à la 97e place, perdant une place en un an. Et l'ONG de souligner que « malgré un processus de transition démocratique mené avec succès en Tunisie, les journalistes tunisiens continuent de subir de multiples pressions ». Et c'est un euphémisme que de le dire. Suite à ce rapport, le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) a exprimé ses craintes face au recul de la liberté de la presse en Tunisie. En fait, ce n'est pas la première fois que le syndicat proteste et dénonce. On déplore ainsi que rien que durant le mois dernier, « 41 journalistes tunisiens et étrangers ont été passés à tabac par la police, harcelés, insultés ou maltraités ». Vendredi dernier, une journaliste a affirmé que « la tête de certains de ses confrères est mise à prix à Tataouine. Elle a expliqué que des collègues, notamment du journal Al Mayadine, ont été menacés « car ils travaillent dans un journal pro-Bachar Al Assad ». Ces journalistes n'ont pas pu quitter leur hôtel à Tataouine. Et il y a quelques jours, une productrice à la télé nationale affirmait que « certains députés ont agressé l'équipe de tournage pour empêcher la diffusion de certaines séquences ». Au lendemain de la Révolution en 2011, les médias et les journalistes tunisiens avaient nourri l'espoir de pouvoir enfin exercer leur liberté et satisfaire le droit de la population, à savoir ce qui se passe dans le pays. Mais ils ont dû, très vite, déchanter, le pouvoir en place cédant à la tentation « d'imposer les mêmes types de contrôle que durant la dictature ». Depuis 2012, les journalistes sont maltraités, jetés en prison, convoqués devant les tribunaux pour des informations ou des opinions qui ne plaisent pas. Néji Bghouri, président du Snjt, ne cesse de dénoncer : « Des responsables gouvernementaux cherchent à contrôler les médias et exercent une pression en donnant des instructions par téléphone. Les pratiques de l'ancien régime ont repris ». A rappeler que Reporters sans frontières a adressé, le 17 mars dernier, une lettre ouverte au chef du gouvernement Youssef Chahed, afin d'attirer son attention sur les différents dérapages et dangers constatés. L'ONG y exprime « son inquiétude face à la dégradation, ces derniers mois, de la liberté de la presse dans le pays ». Il y est pointé « toutes les difficultés rencontrées par les journalistes, les empêchant d'accomplir au mieux leur mission ». Il faut aussi relever le fait que cette « tentation » de vouloir contrôler l'information n'est pas seulement le fait des hommes au pouvoir. Plusieurs « démocrates », encore peu familiarisés avec les règles de la démocratie, usent et abusent de la parole, se perdant dans l'invective, l'insulte, le dénigrement, les accusations, la diffamation. Et lorsque les réactions se font négatives, ils s'en prennent aux journalistes et aux médias. Chacun veut imposer son seul point de vue et tordre le cou à l'avis différent. On comprendra alors que la politique, dans certains médias, est érigée en « spectacle ». C'est à celui qui donnera la parole aux personnages les plus controversés. On a ainsi, non pas une presse responsable, qui reste minoritaire et contrôlée, mais une presse à scandale où l'on pratique le voyeurisme à outrance. Et où l'on distille la désinformation, les fausses nouvelles, les rumeurs et où l'on flatte les bas instincts. Tout pour restreindre le droit du citoyen à savoir ou, du moins, son droit d'avoir une information complète, véridique, honnête.