En dépit de l'incommodité et de l'inconfort, les spectateurs ont eu le plaisir de voir le film en exclusivité en même temps qu'à Cannes. L'Institut français de Tunisie a eu l'heureuse idée de permettre au public tunisien de vivre en direct la cérémonie d'ouverture du 70e Festival de Cannes. Une première qui a drainé un public nombreux de cinéphiles qui a suivi le déroulement des festivités, d'abord, dans l'auditorium parce qu'il faisait encore jour et que la projection n'était pas possible en plein air, mais mieux encore, le public a pu également assister à la projection du film d'ouverture en première mondiale : Les Fantômes d'Ismaël d'Arnaud Desplechin et cette fois-ci en plein air. Ce n'était pas très commode, ni confortable non plus mais les spectateurs ont eu le plaisir de voir le film en exclusivité en même temps qu'à Cannes. La gracieuse actrice italienne Monica Bellucci, marraine de la soirée, est apparue en robe transparente aux épaules dénudées pour présenter la cérémonie qui a démarré avec un duo de chanteurs : Benjamin Biolay et Louane accompagnés d'une danseuse, puis la présentation du jury avec à sa tête le réalisateur espagnol Pedro Almodovar et une projection d'extraits des principaux films du cinéaste ainsi que des scènes du journal du festival notamment les grands moments ayant marqué cet événement prestigieux. Puis la cérémonie s'est terminée par un numéro de danse qui a permis à Monica Bellucci de dévoiler ses talents d'actrice en accolant un baiser fougueux à son partenaire comme au cinéma. Puis, place a été faite à la projection du film tant attendu. A la Hitchcock Les fantômes d'Ismaël, le nouvel opus du réalisateur français Arnaud Desplechin est ésotérique, difficile à décrypter. C'est une œuvre pointue même pour des érudits du cinéma et n'est pas accessible à tout public. La version présentée est amputée d'au moins un quart d'heure. La version originale est de plus de 2 heures, alors que celle-ci est de 1h54. Ismaël Vuillard (Mathieu Amalric) sur le point de tourner un film sur le portrait d'Ivan, un diplomate atypique inspiré de son frère, est perturbé par le retour de Carlotta (Marion Cotillard), un ancien amour disparu, vingt ans plus tôt, et dont il n'a pas réussi à faire le deuil. Sa nouvelle compagne, Sylvia (Charlotte Gainsbourg), s'enfuit et Ismaël rejette Carlotta. Alors que sa raison semble vaciller, il quitte le tournage pour retrouver sa maison familiale à Roubaix, assailli par ses fantômes. La première moitié du film est assez compréhensible et regorge de suspense à la Hitchcock. Carlotta (est aussi le prénom de la femme au portrait dans Vertigo de Hitchcock) et son retour mystérieux bouleverse la vie d'Ismaël qui a refait sa vie avec Sylvia. Il y a aussi le vieux père malade de Carlotta (Laszlo Szabo), dont Ismaël est devenu comme un fils, digère mal le retour de sa fille. Carlotta, fantôme du passé, revient et revendique une place qu'elle a pourtant abandonnée. Elle s'acharne contre Sylvia qui a pris sa place. Entre les deux femmes, la violence monte d'un cran et Carlotta chasse Sylvia pour reconquérir le cœur d'Ismaël. Mais avec l'éloignement, il y a eu fissure et déchirure. Plus rien n'est plus comme avant. Un récit gigogne La deuxième partie du film prend une autre tournure, les événements se bousculent lorsque les scènes du film que tourne Ismaël s'enchevêtrent dans sa propre réalité. Là, le spectateur commence à perdre le fil de l'histoire. Le réalisateur le conduit dans une sorte de labyrinthe sans fin. Ce tournage, qui vient se greffer sur l'histoire tourmentée d'Ismaël, contamine l'histoire principale et complique la lecture du film. Ismaël, cinéaste torturé par les angoisses, abonné aux psychotropes finit par se réfugier à Roubaix pour échapper à ses fantômes. Enfin, le film se termine sur une note tout aussi étrange : la mort, l'amour, la filiation qui semblent être les morceaux d'un puzzle. Tout redevient serein quand la violence, les hallucinations et les inquiétudes se dissipent. Le thème de la famille, de ses secrets et de ses névroses sont les sujets de prédilection de ce cinéaste, diplômé de l'IDHEC. «J'ai déjà fait un film pour dire du mal de ma famille (la Vie des morts), j'ai déjà fait un film pour dire du mal de mon pays (La Sentinelle), j'ai déjà fait un film pour dire du mal de mes fiancées, (Comment je me suis disputé... ma vie sexuelle)». Dans Les Fantômes d'Ismaël, il s'empare de tous les ingrédients habituels du «cinéma d'auteur français», notamment le chassé-croisé amoureux, la déprime, pour leur donner une ampleur à la fois romanesque et terrifiante, à travers un récit gigogne qui constitue sa marque de fabrique. On ne peut oublier non plus les acteurs qui sont sublimes dans des rôles singuliers.