Un scénario catastrophe, à la mode ces derniers jours, croit voir dans les soulèvements régionaux les prémices d'une nouvelle révolution C'est peu dire que la plénière d'hier a été explosive. La mort du jeune manifestant Anouar Sekrafi, survenu lundi dans le Sud du pays, a fait planer une ombre épaisse sur l'hémicycle. Le perchoir, au grand complet, présidé par Mohamed Ennaceur affichait la mine des mauvais jours; les travées aux trois quarts occupées, 146 députés ont signifié leur présence; l'ordre du jour est, lui, totalement chamboulé. Après quelques remous, des cris et un vote, il a été décidé de consacrer le temps qu'il faut à l'examen des événements régionaux qui ont pris un tournant tragique avec la mort du jeune originaire de Kamour. L'heure est grave. Une bonne cinquantaine de députés ont demandé à intervenir, des plus visibles aux plus discrets, en vue de marquer une position et surtout se faire entendre dans ce moment très politique. Malgré la quantité et la virulence des critiques et attaques proférées à l'encontre de l'Etat et ses représentants, se sont profilés toutefois des points de convergence, dont l'appel à l'unité de la nation et la solidarité avec la police et l'armée représentent les vrais points forts. Quelques exceptions, portées sans complexe par le Front populaire, mais pas seulement. Jilani Hammami convoque tout de go le concept de « crime d'Etat » à propos de la mort du manifestant; lequel, selon les premières informations, semble avoir été écrasé par une voiture militaire qui battait en retraite. Amar Amroussia en appelle presque à la dissidence du « Sud martyre » dont l'heure est venue, et Zyed Lakhdhar, se voulant plus modéré, constate l'échec patent du gouvernement à conduire le pays. Du coup — cela s'impose —, les députés de l'opposition avaient un seul mot d'ordre : des élections anticipées. Rien de moins ! Ne pas oublier la majorité silencieuse Même topo chez Imed Daimi qui a affublé le jeune disparu du statut de « martyr de la révolution ». Un scénario catastrophe, à la mode ces derniers jours, croit voir dans les soulèvements régionaux les prémices d'une nouvelle révolution. Le champ lexical permet donc de développer cette supposition. L'élu du bloc démocrate a jugé bon de rappeler la durée de « 50 jours » du sit-in, « sans jamais être entaché par la moindre violence », constatant que « le pouvoir politique a perdu sa légitimité suite au recours à la force pour disperser les manifestants », qui bloquent les sites de production pendant presque deux mois, accessoirement ferment les vannes. Plus tard, la députée du bloc fraîchement formé, le groupe parlementaire patriotique, de son nom Leila Hamrouni, lui répond directement : «On ne peut en aucun cas comparer la situation prérévolutionnaire à la situation actuelle ». Et de poursuivre, comment peut-on appeler à reporter les municipales et à accélérer, en même temps, l'organisation d'élections anticipées ?, s'écrit-elle scandalisée. Ajoutant que le fil entre les revendications sociales et la violence est ténu. Du même bloc, Mustapha Ben Ahmed a demandé à ne pas perdre de vue cette majorité silencieuse qui veut travailler et attend de s'exprimer à travers les urnes, plaignant de ce fait le gouvernement qui aurait besoin de « syndicats pour défendre sa cause ». Assumons nos responsabilités et faisons la part entre le chaos et les revendications sociales, réclame-t-il. Ne pas provoquer une catastrophe nationale Quant aux grands partis de la majorité, le décalage des postures est clair. Les députés du bloc Ennahdha se sont ingéniés, fidèles à leur habitude à souffler le chaud et le froid. Ils sont les défenseurs tour à tour de l'intégrité territoriale du pays, des revendications de Tataouine et de toutes les autres régions, solidaires avec les soulèvements sociaux et avec les forces de sécurité intérieure et militaires, et, pour finir, ils sont contre les solutions uniquement sécuritaires. L'élue de Tataouine, Jamila Jouini, n'a pas fait, elle, dans la dentelle. Elle a soutenu de manière franche les manifestants, ses électeurs, soit dit en passant, et leurs revendications, les a blanchis de tous les actes de vandalisme et appelé à ouvrir les canaux de dialogue ! Pour ainsi dire, le gouvernement et, par extension l'Etat, a trouvé ses vrais défenseurs en les élus de Nida Tounès, Ibtissem Jbabli, Mongi Harbaoui, Hela Omrane et bien d'autres, lesquels tout en reconnaissant la légitimé des revendications, ils ont tôt fait de les dissocier des manœuvres des instigateurs et des meneurs, des partis politiques revanchards et mal intentionnés et des contrebandiers qui exploitent à leurs fins propres la crise. Il s'agit d'un plan organisé qui vise les fondements de l'Etat, s'écrie Ibtissem Jbabli, qui « appelle les citoyens à protéger les sites de production » et les lieux publics et de souveraineté. Dans la foulée, des postes de police ont été vandalisés et brûlés ces derniers jours. Les élus nidaistes ont appelé à ne pas céder à ceux qui cherchent à provoquer une catastrophe nationale et le chaos généralisé. Tout au long des prises de parole, toutes les propositions ont été faites, des plus concrètes aux plus démagogiques : renouer le dialogue avec les manifestants, les inviter à l'Assemblée pour des séances d'écoute, leur accorder ce qu'ils réclament, diligenter une enquête pour traiter de l'exploitation et la gestion des minerais... Dans cette affaire, il faut bien le dire, l'équipe gouvernementale semble être allée au bout de ses possibilités. Ce qui l'a affaiblie, en revanche, ce sont les histoires de clientélisme, de grande corruption et de retour de l'hégémonie des familles, saturant l'espace public, qui ont décrédibilisé toutes les tentatives de l'Etat de trouver un terrain d'entente avec les jeunes des régions, et, à l'inverse, accordé du crédit aux attaques même les plus farfelues de ses adversaires politiques.