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Pour une révolution culturelle féminine
Tribune
Publié dans La Presse de Tunisie le 20 - 06 - 2017


Par maître Med Laïd LADEB *
La liberté de la femme tient de la liberté de l'homme. Si la femme n'est pas libre, l'homme ne l'est pas non plus. L'égalité de la femme avec l'homme quant à ses droits et ses devoirs constitue l'épine dorsale de tout projet de développement digne de ce nom. Tant que la femme est considérée comme un «être inférieur à l'homme, toute approche de développement risque d'être sinon farfelue et incomplète du moins insignifiante.
Tous mes articles de presse publiés dans des quotidiens tunisiens depuis l'ère de Ben Ali jusqu'à nos jours témoignent de ma part d'un effort permanent et continu en vue de consacrer l'égalité juridique et effective de la femme avec l'homme. Déjà, dans ma thèse sur l'Islam et le développement politique en Tunisie de Bourguiba soutenue à la Sorbonne - Panthéon - Paris I en 1975, j'ai soutenu que l'annotation faite par son commentateur M. Essenoussi en bas de l'article 5 du Code du statut personnel publié en 1956 et relatif aux empêchements légaux au mariage est illégale et anticonstitutionnelle car elle viole l'article 6 de la Constitution tunisienne du 1er juin 1956 consacrant l'égalité entre l'homme et la femme (1). J'ai soutenu encore que l'arrêté ministériel du 5 novembre 1973 interdisant aux femmes tunisiennes de contracter un mariage avec un homme non musulman est anticonstitutionnelle pour les mêmes raisons. En application de cet arrêté et la circulaire n° 606 du 19 octobre 1973 pour contracter avec une Tunisienne, le non-musulman doit se convertir à la religion musulmane (2).
Loin des lumières médiatiques, j'ai soutenu aussi et en 1975 le principe de l'égalité entre l'homme et la femme en matière d'héritage (3).
Dans mon ancien article intitulé «Pour une révolution culturelle féminine» publié par La Presse du 24 août 2016, j'ai soutenu la même thèse en me référant à tout un arsenal juridique et notamment aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie (4).
Pour réussir une révolution progressiste et humaine, il ne suffit pas seulement d'avoir des textes aussi glorieux soient-ils. Il est nécessaire d'établir des soubassements culturels, éthiques et sociaux pour la réussir et l'accomplir.
A ce propos, il est intéressant de relever les grands pas accomplis par la jurisprudence tunisienne quant à l'égalité de la femme et de l'homme face au mariage et face à la question de l'héritage.
I/ Les apports positifs de la jurisprudence tunisienne quant à la question du mariage et celle de l'héritage.
Deux grands et célèbres arrêts émis par la Cour de cassation tunisienne illuminent l'arène des droits de la femme et son égalité avec l'homme.
A/ Le premier émis le 31 janvier 1966 communément appelé «Arrêt Houryya» portant le n° 3384. Les faits de cet arrêt se résument dans une affaire d'héritage d'un immeuble situé à la Corniche de Sousse entre quatre frères et sœurs dont Houryya. Celle-ci s'est mariée en 1945 à un Français. Ses frères ont intenté une action devant le Tribunal de Sousse visant à la priver de sa part de l'héritage de sa mère Zeineb pour la simple raison qu'elle n'est plus «musulmane» par le fait de son mariage à un non-musulman. Le jugement du Tribunal de première instance de Sousse les a déboutés et a jugé que Houryya a droit à hériter de sa mère. Ce jugement a été confirmé par la Cour d'appel de Sousse, puis par la Cour de cassation le 31/01/1966.
Le raisonnement adopté par la Cour de cassation dans cette affaire est le suivant : le mariage d'une musulmane avec un non-musulman est considéré comme un péché majeur et la charia le considère comme un mariage nul. Mais ce mariage ne peut être interprété comme une «apostasie» (Redda), c'est-à-dire reniement de sa religion islamique tant qu'on n'a pas prouvé que la «femme» a adopté la religion de son mari. Dans les années soixante, l'arrêt Houryya a été interprété comme une véritable «révolution» dans les annales juridiques tunisiennes. Mais un autre arrêt est venu lui faire ombrage et est considéré par la grande majorité des juristes tunisiens comme un «phare». Cet arrêt est celui de Thourayya émis le 5 février 2009 sous le n° 31.115.
B/ L'arrêt Thourayya du 5 février 2009 sous le n° 31.115 (6)
Les fait sont a peu près identiques à ceux de l'arrêt Houryya.
Des frères de la même famille ont intenté une action en justice visant à priver leurs sœurs Thourayya et Dalel de leurs droits à l'héritage de leur père pour la raison que l'une s'est mariée à un non-musulman et que l'autre a choisi de cohabiter avec un non-musulman aussi.
La raison majeure réside dans la question suivante : est-ce que la différence de culte peut être une cause de privation du droit à l'héritage en enfreignant par là le sacro-saint principe de l'égalité de tous devant la loi.
Le Tribunal de première instance de Tunis a répondu par la négative et a débouté les demandeurs dans leur action.
La Cour d'appel a confirmé le jugement du Tribunal de première instance de Tunis le 15-7-2008 avec son arrêt n°73928. Celui-ci a été confirmé par la Cour de cassation du 5-2-2009.
La grande innovation réalisée par l'arrêt Thourayya en comparaison de l'arrêt Hourrya, c'est que l'arrêt Thourayya a évoqué clairement et de face la question de l'égalité de la femme et de l'homme, et ce, vis-à-vis du droit interne et du droit international.
En application de l'article 5 de la Constitution tunisienne du 1-6-1959 relatif à la liberté de conscience et de l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, il est absolument interdit de priver toute personne, quelle qu'elle soit, femme ou homme, de ses droits pour des raisons de culte, de sexe, ou de race. Cet arrêt va plus loin. Dire que le législateur tunisien consacre le principe de l'égalité de tous devant la loi et priver certains de ces mêmes droits parce qu'ils ont exercé librement leur droit à la libre conscience est une aberration.
En application de l'article 6 de la constitution tunisienne du 1-6-1959 et l'article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, tous les Tunisiens sont égaux quant aux droits et quand aux devoirs, et toute limitation à ce droit est non avenue.
L'arrêt Thourayya fait appel aussi à la convention du 18-12-1979 relative la lutte contre toutes les discriminations dont les femmes sont victimes ratifiée par la loi n°68-1985 du 12-7-1985.
A la lumière de la jurisprudence de l'arrêt Thourayya et des différents développements juridiques relatifs à l'article 5 de la Constitution du 1er juin 1959, repris par l'article 6 de la Constitution tunisienne du 27-1-2014, et en application des conventions internationales signées et ratifiées par la Tunisie, notamment celle de Copenhague, il est urgent de revenir à la circulaire émise par le ministre de la Justice du 5-11-1973 interdisant aux autorités municipales et autres de conclure un acte de mariage entre une Tunisienne et un non-musulman tant qu'il n'a pas prouvé qu'il est «devenu» «musulman».
Il est temps de faire le ménage dans nos textes juridiques pour mettre fin aux graves aberrations et aux atteintes aux droits de la femme et de l'homme.
A titre indicatif, il est bon de noter qu'un jugement demeuré «méconnu» et «ignoré» émis par le Tribunal de première instance de Tunis du 18-5-2000 a développé les mêmes arguments véhiculés et défendus par l'arrêt Thourayya.
L'arrêt Thourayya et tant d'autres demeurent des phares lumineux dans l'histoire de la jurisprudence tunisienne.
Il est sans conteste une leçon magistrale dans l'interprétation des textes (notamment les articles 5 et 88 du CSP) dans l'effort de recherche et d'abnégation à la cause féminine.
II Le 8 mars, Journée internationale de la femme
Partout dans le monde, l'écrasante majorité des femmes, qu'elles soient européennes, africaines, asiatiques, arabes ou chinoises, sont maltraitées, exploitées, durement violentées. Que faire ?
— Les droits de la femme et notamment son droit à une vie calme, sereine, équilibrée jouissant de ses aptitudes physiques et morales ne doivent plus être considérés comme de simples paroles. Il faut passer à l'acte.
L'acte est à notre sens émancipation et libération. Emancipation veut dire ouverture, amour de l'autre, non pas par les cris et les slogans mais par des actes. Libération signifie mettre à bas les masques des tabous, des inhibitions sexuelles et autres. L'hypocrisie ne sert plus à quelque chose de bien.
Il faut faire face à son destin et à ses desseins. Il faut avoir le courage de ses idées et de ses sentiments.
Mais la ferme à elle seule ne peut pas faire tout ça. C'est en connivence et en collaboration avec l'homme qu'elle peut aller très loin. Les féministes n'ont pas fait long feu. La libération de la femme, tant matérielle que morale, sexuelle ou affective, doit relever d'un projet global de développement englobant à la fois l'homme et la femme dans leur recherche du bonheur et de la joie de vivre. Vivre pour vivre. Vivre pour édifier l'avenir de nos enfants et des générations futures loin de tous les obscurantismes de tous bords relevant le drapeau de la joie de vivre, de l'amour et de la tolérance.
Bergson écrivait dans un de ses textes que le monde a besoin d'un supplément d'âme. Je dirai qu'il a besoin surtout d'amour, de tolérance et de paix. Un des grands théoriciens du développement, Paul Borel, disait que celui-ci ne peut se réaliser qu'avec la concrétisation d'un «optimum de données».
En Tunisie, le 14 janvier 2011 est considéré comme une «révolution». Pour nous et pour que cette révolution se définisse et voie vraiment le jour, il faut que le peuple tunisien, toutes classes confondues, fasse siennes ces «données» qui ne sont qu'un «optimum»
Elles sont définies ainsi : (8)
— L'idée d'une culture de masse opposée à l'ancienne culture politique de l'élite qu'on répudie
— Egalité politique, élévation du statut politique du peuple, fin des discriminations sociales, régionales et religieuses
— Egalité des sexes
— Foi dans les immenses possibilités de notre pays, la Tunisie
La culture de masse doit s'orienter vers les usines, les manufactures, les champs et les faubourgs lointains. En ce qui concerne les femmes, faire comme a fait le président Bourguiba, faire le porte-à-porte, éclairer les esprits, motiver les jeunes et les moins jeunes à sortir de leur solitude et leur misère. Parler franchement aux gens de leurs droits et leurs devoirs. Expliquer, expliquer tout ce qui se passe autour de nous. Les discriminations sociales, raciales, régionales et religieuses existent chez nous et de façon déplorable. Il est plus qu'urgent de commencer à les éliminer ou au moins à rétrécir leur champ. Nous ne cesserons pas de le dire et surtout à nos respectables «députées» et présentatrices de TV que le voile est une «idéologie». Le peuple tunisien a vécu quelques drames tragiques qui relèvent de cette «idéologie». Il est temps de faire la part des choses. Choisir, c'est difficile mais c'est un acte de liberté ou bien on est pour une société civile, ouverte et épanouie ou bien on est pour une société religieuse, rétrograde et arriérée où les mots liberté, égalité des sexes ne sont que de vains mots.
Depuis l'avènement du 14 janvier 2011, une question lancinante s'impose : qu'a-t-on fait pour la femme ?
A part les quelques députées, la plupart voilées, qui siègent à l'ARP et quelques ministres qui semblent être satisfaites de ce qu'éprouve la femme tunisienne de nos jours comme misères, frustrations et exploitation, a-t-on le droit de dire que la femme tunisienne jouit pleinement de ses droits ?
Avec la montée de partis religieux, tel Ennahdha, au pouvoir, la Tunisie vit la même époque et le même climat des années 50. Tout ce qu'ont entrepris le président Bourguiba et le parti destourien comme réformes à tous les niveaux est en train d'être démantelé. Aux femmes de bonne volonté, libres et progressistes, je dirai qu'il faut ouvrir les yeux. Tant qu'il y a des partis religieux rétrogrades tels que le parti Ennahdha et le parti Ettahrir, qui appelle à la restauration du califat, les dangers qui pèsent sur l'orientation moderniste de la Tunisie sont réels.
Conclusion : comme feu Tahar El Haddad et son livre sur la femme entre la société et la charia, je tiens toujours à la cause féminine face à une gauche presque inexistante, amorphe et divisée, je lance cette étude, comme la bouteille d'Alfred de Vigny, à la mer.
Parce que la culture est le phare de tout projet de développement et se définit comme la «restauration de l'espoir», selon l'heureuse expression de Tibor Mende (9). J'appelle encore et toujours à une véritable révolution culturelle féminine qui sera menée, entreprise et guidée par des femmes et des hommes de bonne volonté épris de justice et de liberté.
* (Avocat à la Cour de cassation)
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1) M. Essenoussi dans son commentaire de l'article 5 du CSP pense que la différence de culte ne serait qu'un empêchement provisoire qui disparaît par la conversion du futur mari à la religion musulmane
2) Cette législation a ouvert la porte aux hypocrisies, aux tartufferies et à des scènes tragicomiques relatives à la circoncision des futurs mariés.
3) Je fais allusion à ce projet de loi soutenu récemment par un député et retiré depuis relatif à la même question.
4) Voir notamment la convention
5) Ce sont ces soubassements culturels qui ont fait amèrement défaut à ce qu'on a eu l'habitude de nommer la révolution du 14 janvier
6) Publié par la revue Al Kadhaa wa tachrii du mois de mars 2009 annoté par le juge Malek Ghazouani
7) Voir à ce propos l'intéressante étude de feu Maître Mustapha Cherif «L'égalité entre l'homme et la femme face au mariage et à l'héritage» à travers la jurisprudence tunisienne «Arrêt Thourayya Prototype» in Revue Al Mouhamet, avril 2012 pp. 86 et 55
8) Paul Borel : les 3 révolutions du développement. Paris éd. Eco et Humanisme éd. Ouvrières 1968 p. 203
9) Voir T. Mende : De l'aide à la récolonisation - Les leçons d'un éched éd. Seuil 1972 p. 203


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