Un bel exemple de coopération tuniso-belge a été présenté mercredi dernier, dans le cadre du ciné-club du CinémAfricArt. Il s'agit de la première projection publique en Tunisie, près de 35 ans après, d'une copie restaurée de Le fils d'Amr est mort!, un long-métrage (79 mn, 1975) du cinéaste belge Jean-Jacques Andrien. La particularité du film est qu'Andrien en a tourné une partie dans le village sud-tunisien de Guermessa, avec comme casting les villageois et l'acteur Pierre Clémenti, qui y incarne le rôle principal. Beaucoup de techniciens tunisiens ont participé à sa réalisation. C'est Hassan Daldoul qui en a assuré la coproduction. Ce retour n'est pas fortuit, bien au contraire. Pour l'occasion, le cinéaste a tenté une nouvelle expérience : revenir sur les lieux (Guermessa) pour y retrouver les mêmes villageois d'il y a 35 ans. Il a été accompagné par des étudiants de l'Institut supérieur des arts multimédias de La Manouba (Isamm), qui se sont chargés de filmer ces retrouvailles et d'en faire un documentaire. Dans un cadre plus large, c'est en fait une coopération tuniso-belge. Ses parties prenantes sont la délégation Wallonie-Bruxelles à Tunis, l'Isamm et son partenaire bruxellois, l'Institut national supérieur des arts du spectacle (Insas). Tout un programme donc, dont le résultat a été montré mercredi. Avant cela, Tahar Chikhaoui, critique tunisien et animateur du ciné-club, Daniel Soil, de la délégation Wallonie-Bruxelles, Jean-Jacques Andrien et Chiraz Latiri, directrice de l'Isamm, ont tour à tour pris la parole pour nous éclairer sur ce projet. L'Insas est depuis longtemps une des principales destinations des étudiants de cinéma tunisiens. Bon nombre de nos réalisateurs en sont diplômés, comme Mahmoud Ben Mahmoud, Nouri Bouzid, Sarra Abidi et, plus récemment, Nadia Touijer. Andrien, ayant lui aussi été à l'Insas (diplômé en 1970) et étudié avec des Tunisiens, c'est ainsi que lui est venue l'idée de faire un film sur " le rapport à l'autre ". Le documentaire réalisé par les étudiants de l'Isamm nous a permis de suivre le voyage de Jean-Jacques Andrien de Tunis à Guermessa. Accompagnées de ses commentaires, les images étaient chargées d'émotion, surtout quand le réalisateur a reconnu ses anciens collaborateurs du village et leur a montré des photos datant de l'époque du tournage. Maintenant, ils vivent dans de nouvelles maisons, en bas de la montagne qu'ils habitaient autrefois, dans des demeures creusées dans la roche. La fameuse mosquée blanche de Guermessa est restée intacte. Andrien a organisé une projection de Le fils d'Amr est mort que toutes les générations au village ont suivie. Le cinéaste a revisité les endroits qui avaient servi de décor pour le tournage et que le documentaire a aussi montrés dans leur état d'autrefois, grâce à des séquences du film. Ce qui nous ramène à la projection de ce dernier. Son histoire est celle d'" un homme dont on ne sait rien, qui vit avec une femme et un enfant à Bruxelles. Il est voleur à la tire et il a un complice occasionnel, un Maghrébin qu'il retrouve mort dans un autobus rouillé, épave au fond d'un bois, sans savoir qui il est vraiment et le pourquoi de sa disparition. Muni de ses papiers d'identité, trouvés dans cette débâcle, Pierre Clémenti part dans le Sud tunisien pour comprendre. Deux mondes, l'européen et le tunisien, dont on ne verra que les codes et les signes ". Avant la projection, lors de la présentation, Jean-Jacques Andrien nous a fourni les codes de lecture de son film. " Ecrit entre 1973 et 1974, il est venu à une époque où le 7e art en Belgique vivait une émulation du langage cinématographique, autant dans l'écriture que dans la réception par le spectateur", dit-il. Et d'ajouter: " On pouvait se permettre des audaces dans les rapports entre le temps, l'espace, le mouvement, l'image et le son ". Il affirme d'ailleurs que dans Le fils d'Amr est mort! " plutôt que le temps soit subordonné au mouvement, c'est l'inverse que nous avons tenté ". Le film est donc construit sur l'image-temps et non l'image-mouvement, des concepts que des réalisateurs comme lui, Marguerite Duras et Wim Wenders ont expérimentés à cette époque et qui ont été plus tard théorisés par Gilles Deleuze dans ses écrits sur le cinéma. "Le rapport à l'autre, cela pouvait être un voisin, un frère, une infinité de possibilités ", déclare Andrien. Finalement, c'est au fin fond du Sud tunisien qu'il est allé chercher cet autre. Lors de sa première visite à Guermessa, les habitants du village lui avaient offert une grotte : c'est là-bas qu'il s'est penché, pendant des semaines, sur l'écriture du scénario de Le fils d'Amr est mort!. S'il s'agit bien du rapport à l'autre dans ce film, sa première partie, filmée à Bruxelles, exprime surtout un regard sur soi, sur le rapport à l'espace et sur sa place dans un monde dont les radios rapportent les nombreuses tensions et conflits. Une fois à Guermessa, Pierre Clémenti devient un prétexte pour filmer le quotidien des villageois. Par moments, le film prend les allures d'un documentaire, avec un regard qui témoigne de beaucoup de respect et d'efforts pour comprendre cet autre qui est différent, mais qui ne l'est peut-être pas tant que ça. La projection de Le fils d'Amr est mort! a permis de découvrir une des œuvres du cinéma belge, un cinéma que nous n'avons pas tellement l'occasion de voir sur nos rares écrans. C'est un bon début et ce n'est pas la seule initiative puisque, par ailleurs, ce cinéma est l'invité d'honneur de la 1ère Rencontre internationale du cinéma arabe de Nabeul qui se tient du 25 septembre au 2 octobre et sera présent lors de la prochaine édition des Journées du cinéma européen. De plus, la délégation Wallonie-Bruxelles à Tunis prévoit d'autres événements dont un atelier de formation en 3D, en partenariat avec l'Isamm et le CinémAfricArt.