Chawki Tabib, candidat n°1 à la présidence de l'Instance nationale de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, estime que les députés ont trahi l'esprit de la Constitution en créant une instance aux attributions limitées. Les députés ont dit non à une nouvelle IVD On attendait avec impatience la création officielle de l'Instance nationale de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption censée prendre la relève de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), présidée par Me Chawki Tabib, l'ancien bâtonnier des avocats qui a pris lui aussi la relève de Me Abderrazak Kilani lorsqu'il a été désigné ministre chargé des Relations avec l'ANC au sein du gouvernement Hamadi Jebali formé à l'issue des élections du 23 octobre 2011. Maintenant que l'Instance tant attendue est, enfin, constituée et que la loi afférente à sa création est adoptée par le parlement avec une majorité très large (116 voix pour, 10 contre et 5 abstentions), voilà que Me Chawki Tabib, qu'on présente comme le futur président de l'Instance (il doit être élu par le parlement et il semble avoir reçu les assurances qu'il faut de la part des partis les plus influents), se rebiffe et déclare : «Les députés ont trahi l'esprit de la Constitution dans le sens que les prérogatives qui sont accordées à l'Instance ne lui permettront pas d'accomplir sa mission comme l'attendaient les Tunisiens et comment il est pratiqué dans les pays européens, à l'instar de l'Italie où l'Instance Mains propres dispose d'attributions illimitées, de financements réguliers provenant de la saisie automatique de 2% sur les marchés publics et de moyens humains qui vont jusqu'à disposer d'une police privée sous ses ordres». Il est donc clair qu'en faisant tomber l'article 19 de la loi qui donnait aux enquêteurs de l'Instance la latitude d'enquêter à leur guise et de saisir les documents qu'ils veulent (voir l'article de La Presse du 9 juillet intitulé : «Les enquêteurs de l'Instance bientôt sur le terrain»), les députés ont joué un mauvais tour à Me Chawki Tabib qui s'apprêtait à faire de l'Instance qu'on lui promettait de présider officiellement une Instance vérité et dignité bis où Sihem Ben Sédrine fait la pluie et le beau temps. La loi portant création de l'IVD lui donne, en effet, le droit de confisquer tous les documents qu'elle estime nécessaires au dévoilement des actes de torture subis par les opposants aux régimes de Bourguiba, de Ben Ali et celui de la Troïka jusqu'en décembre 2013, d'investir le domicile de n'importe quel citoyen pour saisir les documents compromettants pour lui-même ou pour d'autres personnes qu'il pourrait y cacher et aussi de convoquer quiconque pour une audience publique ou privée avec la possibilité pour l'Instance de déférer devant la justice ceux qui refuseront les injonctions. Et pour revenir à l'Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, les députés ont dit leur mot : non à une nouvelle IVD, non à un Etat dans l'Etat, non à un président d'une instance anticorruption qui enverra qui il veut en prison, qui confisquera les biens de n'importe qui sans avoir à rendre de comptes à la justice. Plus encore, ce n'est pas sorcier de saisir que les députés qui ont empêché la future instance de devenir un pouvoir tentaculaire qu'on ne pourra plus contrôler ne sont pas disposés à commettre la même erreur dans laquelle sont tombés les constituants qui ont créé l'IVD. La loi pourrait faire l'objet d'un recours pour anticonstitutionnalité «Et même si beaucoup parmi ces députés ne soutiennent que du bout des lèvres la guerre de Youssef Chahed contre la corruption et leurs interventions jeudi dernier au Parlement ont montré que leur objectif est que cette guerre s'arrête le plus tôt possible et avec le minimum de dégâts, ils ne sont pas prêts à ouvrir un nouveau front ou à créer une nouvelle structure indépendante et à pouvoirs illimités et qui se propose, en prime, de coincer ceux parmi les corrompus et les corrupteurs épargnés jusqu'ici par Youssef Chahed», confie à La Presse un observateur qui veut garder l'anonymat pour «m'épargner les foudres des droits de l'hommistes invétérés dans la mesure où j'ai déjà exprimé mes réserves sur la loi antiterroriste que je trouve bien en deçà du code pénal et malheureusement mes propos ont été mal interprétés». Peut-on s'attendre à ce que la loi organique sur l'Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption subisse un recours pour anticonstitutionnalité par-devant l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (toujours opérationnelle en attendant l'instauration de la Cour constitutionnelle) ? Pour le moment, Samia Abbou et compagnie ont d'autres priorités et les déclarations faites, hier, par Chawki Tabib pourraient les sortir de leur silence. Attend-on que passe la «tempête» vécue au palais du Bardo, jeudi dernier, pour se consacrer à cette loi qui ne fait que «concrétiser la volonté de la majorité (Ennahdha et Nida Tounès) de faire obstacle aux activités de l'Instance ?