Par Abdelhamid Gmati Certains événements d'apparence anodine portent à croire qu'il y a des bigots, des Tartuffes parmi nous qui veulent qu'on cache un sein qu'ils se complaisent à admirer en sourdine. A l'ouverture du Festival de Carthage, jeudi 13 juillet, le danseur chorégraphe Rochdi Belgasmi donnait un spectacle de danse original, où il apparaissait torse nu, ce qui est habituel dans un spectacle de danse. Quelle ne fut sa surprise lorsqu'il constata qu'au premier rang certains spectateurs se cachaient le visage. Se sentant insulté, il identifia quelques-uns de ces dévots et parmi eux les nahdhaouis Lotfi Zitoun et Maherzia Laâbidi, députée. Celle-là même qui se présentait comme « française d'origine tunisienne » et qui, en 2009, en tant que membre du Conseil européen des leaders religieux, se prononçait contre le port du nikab et des barbes, lors des débats sur le projet de loi l'interdisant en France. Faudra-t-il, pour satisfaire ces « offusqués » que les danseurs se produisent en tchador, nikab, voile, barbes hirsutes et autres horka afghane? Dernièrement, des baigneurs et baigneuses ont rapporté que des individus agressent systématiquement des jeunes filles en maillot de bain su certaines plages comme à La Marsa. Des individus apostrophent ces femmes en proférant des insultes et autres grossièretés et vont même jusqu'à tenter de les noyer, selon le témoignage de l'une des victimes, pour « atteinte à la morale publique ». Cela renvoie à l'imam autoproclamé Adel Almi, qui, au mois de Ramadan, avait lancé une campagne contre les non jeûneurs et qui, aujourd'hui, se mobilise pour une « croisade » contre les consommateurs d'alcool. Malheureusement pour lui, cette campagne, comme la précédente, est vouée à l'échec et lui vaut déjà des déboires. Jeudi dernier, accompagné d'un huissier, il s'est fait jeter hors d'un bar, avec pertes et fracas. Vendredi 15 juillet, des jeunes ont bloqué les routes devant le poste de police à Ouled Chamekh (Mahdia), demandant aux policiers de leur rendre leurs bières saisies plus tôt dans la journée. Ils estiment que «l'Etat autorise la vente et la consommation de la bière. On a donc le droit de boire de la bière où l'on veut, du moment que l'on ne dérange personne». « Rendez-nous nos bières », clament-ils devant des policiers médusés. En avril dernier, lors d'une conférence de presse au cours de laquelle il a été notamment question de réclamer la fermeture des discothèques et l'interdiction de la vente d'alcool, le président du Conseil des syndicats nationaux des imams et des cadres des mosquées, Chihebeddine Telliche, a également plaidé en faveur de la promotion du « tourisme-charia » et appelé à la dissolution des associations de défense des homosexuels. Jeudi 22 juin, un juge auprès du tribunal de 1ère instance de l'Ariana a demandé à un prévenu âgé de 16 ans de réciter le Coran. L'affaire concerne deux adolescents qui ont eu des rapports sexuels consentants. Mais la mère de la fille (17 ans) a porté plainte contre l'adolescent qu'elle a accusé d'avoir fait perdre la virginité de sa fille. Le juge a cru devoir lui faire la morale, en lui rappelant que les rapports sexuels sont interdits avant le mariage et considérés comme «haram» par le Coran. Il a aussi menacé de le faire conduire en prison et lui fit une demande insolite : «Que connais-tu du Coran? Récite-moi des versets», a-t-il demandé au jeune garçon. Il a fini par libérer l'adolescent, mais il n'a pas manqué de lui conseiller, à la fin, de lire le Coran pour apprendre à être toujours sur le droit chemin. Pourquoi pas ? Sauf qu'on peut penser que ce juge est enclin à se référer à la charia plutôt qu'à la loi tunisienne. Mais tous ces faits, qui semblent anodins, ne le sont pas. Ils relèvent de cette politique lancée depuis 2011 et qui consiste à changer la société tunisienne par une « islamisation rampante ». La stratégie des Frères musulmans se fait par étapes et cela se joue sur le long terme : faire reculer les libertés, changer les habitudes, introduire de nouvelles normes, faire peur, menacer, utiliser la violence s'il le faut. Les incidents sur les plages sont significatifs à cet égard : faire peur aux jeunes filles et leur faire abandonner leur tenue de plage. Contre le burkini, peut-être ? En tout cas, cela paie : il n'y a qu'à voir le nombre de jeunes filles qui portent le voile. Certaines portent le foulard mais ont une tenue moderne avec jean et talon-aiguilles et maquillées, comme pour compenser la coquetterie capillaire qu'elles ont concédée aux islamistes pour qu'ils leur foutent la paix et affirmer ainsi leur désir de séduction, comme une ultime action de résistance à l'islamisme. Tout cela n'est pas anodin ; c'est même grave. Un journal français n'hésite pas à poser la question : le Tunistan serait-il en cours de construction ?