Par Abdelhamid GMATI Un jeune entrepreneur tunisien a eu l'idée de lancer l'«Emergency Wearable», un bracelet permettant aux femmes en danger d'alerter leurs proches ou les autorités. Ce projet a été retenu dans la liste du concours international «Innovating Justice», et pour le faire valider, l'entrepreneur a besoin de soutien via le Net. Les détails du fonctionnement de ce bracelet seront probablement révélés plus tard. Il est évident que ce jeune a été sensible aux résultats des enquêtes récentes qui indiquent que près de 90% des femmes tunisiennes ont déclaré avoir subi des violences verbales ou physiques. Ce qui a donné lieu à un projet de loi criminalisant la violence envers les femmes. Et la plupart de ces violences sont d'ordre sexuel. On a évoqué le harcèlement sexuel, les attouchements, les insultes, les coups mais on a peu ou pas parlé d'une autre sorte d'agressions, celle qui a trait directement à l'habillement féminin. Sous la Troïka, on avait vu émerger une sorte de «police des mœurs» autoproclamée par des barbus, habillés à l'afghane ou à la saoudienne, s'en prenant aux femmes dont l'habit n'était pas à leurs «normes», aux bars, aux prostituées, etc. Cela a eu des conséquences puisque le nombre de femmes se voilant a augmenté de façon inhabituelle. Puis ces hordes ont disparu avec le départ de la Troïka. Mais il semble qu'il y a des héritiers et d'autres, du domaine public, se chargent de cette police des mœurs. Certaines municipalités se comportent en gardiens de la morale. A l'instar de la délégation spéciale de Tazarka qui, en juillet dernier, affiche un panneau, installé sur la plage, appelant au respect des bonnes mœurs (il y est conseillé aux baigneurs d'éviter... la dépravation et la dissolution des mœurs). Cela a provoqué l'étonnement des baigneurs puis leur colère. Sur une plage de Hammamet, une dame, son mari, sa fille et une amie sont allongés sur le sable goûtant, tranquillement, aux plaisirs de l'été. Surviennent deux policiers, accompagnés d'un autre en civil mais portant un t-shirt affichant «police des plages». Le trio s'arrête, les regarde et le policier en civil donne l'ordre de les fouiller. Les baigneurs étant en tenues de plage (maillots et bikinis), on fouilla leurs effets. A la recherche de bombes ou d'armes ? Non pas, mais d'alcool. Bien sûr, il n'en était rien. La dame en conclut, vu les regards courroucés des policiers, que c'était leurs bikinis qui leur déplaisaient. Une jeune étudiante en médecine rentre chez elle, à Ennasr, à une heure tardive de la nuit, après avoir terminé son service à l'hôpital où elle était en stage. A sa descente du taxi, deux policiers l'abordent et lui demandent ses pièces d'identité. La jeune fille s'exécute, leur expliquant qu'elle doit rentrer se reposer car elle reprenait le travail tôt le matin. On lui confisqua son portable et on l'embarqua au poste, en la menaçant d'alerter son père pour qu'il vienne voir la tenue de sa fille. La jeune fille portait un short, ce qui n'était pas au goût des policiers. On la garda au poste trois heures durant lesquelles on l'abreuva de toutes sortes d'injures. Elle n'avait pourtant commis aucun délit. Un père et sa fille se rendent au tribunal chercher une attestation de nationalité, pour refaire le passeport de la fille, mariée et résidant en France. Un fonctionnaire est dans le bureau avec deux secrétaires voilées. A la vue de la jeune dame, le préposé fait signe au père de faire sortir sa fille du bureau. Pourquoi ? « Elle n'était pas « aux nouvelles normes de la décence ». Pourtant, elle portait un pantalon et un débardeur couvrant tout le haut de son corps. Mais elle n'était pas voilée. Il a fallu l'intervention des secrétaires pour éviter un drame, le père, furieux, voulait violenter le fonctionnaire « gardien de la décence ». Ces incidents sont récents. Et de plus en plus, les femmes sont harcelées pour leur tenue vestimentaire. Pour se prémunir, nombre d'entre elles se mettent au voile. Pourtant ce voile n'a rien à voir avec la religion musulmane. Le professeur, bien connu, Mohamed Talbi affirme : «Rien, dans le Coran, ne dit aux femmes explicitement de se couvrir les cheveux». Faut-il rappeler que le port du voile date de plusieurs siècles avant l'islam. Et les premières apparitions du voile avaient pour but de cacher les prostituées des yeux de la population, et ainsi de les discriminer. Les femmes respectables n'étaient pas voilées. Faut-il rappeler aussi que Mustapha Kemal Atatürk, président de la Turquie de 1923 à 1938, avait fait voter une loi significative : «Toutes les femmes turques ont le droit de se vêtir comme elles le désirent. Toutefois, toutes les prostituées doivent porter la burka». Dès le lendemain, on ne voyait plus de voile en Turquie. Le sujet est grave et mérite attention. Certains y sont sensibilisés. Comme cet intellectuel tunisien qui lance un appel à «toutes et tous à porter des shorts ce jour-là (le 13 août, fête de la Femme) en réponse à tous ces islamistes, à tous ces esprits rétrogrades et aux abus de certains policiers et à une partie de la société qui cherchent toujours à faire la morale aux autres en cherchant à imposer directement ou indirectement une norme vestimentaire aux femmes dans le but, bien sûr, de les soumettre. J'invite aussi toutes les femmes voilées à se débarrasser du hijab, cet étendard qui les réduit en esclaves sexuelles. Montrez-leur que vous êtes libres et que personne n'a autorité sur votre corps». La Tunisie est en guerre contre le terrorisme. Il faudrait aussi inclure cette sorte de terrorisme qui est plus dangereuse car elle distille un poison mortel à long terme.