Une soirée inoubliable, offerte par l'Orchestre de chambre «Villa de Madrid», conduite par Mercedes Padilla et par l'ensemble de «Makamet» accompagné des virtuoses, Hassan Sharara d'Egypte, le Turc Baki Kamanci et le Tunisien Naoufel Ben Mehrez Ce soir-là, nous avons eu droit, en ouverture, à un autre concert, celui d'un élément, avec un virtuose d'enfer le maestro sirocco. C'était samedi, le spectacle s'annonçait alléchant avec ce titre évocateur, « La nuit méditerranéenne du violon». Une soirée prévue en deux parties devant être assurée, chacune par un orchestre, l'occidental et l'oriental et la participation de violonistes de très haut niveau d'au moins quatre pays méditerranéens: l'Espagne, l'Egypte, la Turquie et bien sûr la Tunisie. Nous avions titré notre article de présentation «Quand se déchaînent les violons» (voir «La Presse» du 20 juillet 2017). Eh bien, ce sont les éléments qui, tout d'un coup, se sont déchaînés samedi, rappelant au passage la définition kantienne du sublime, « qui provoquerait en vous ce qu'aurait provoqué le déchaînement des forces de la nature» (de mémoire). Ce soir-là, un public dense et averti était venu pour le festin de l'ouïe et aussi de la vue, sous l'œil bienveillant d'une foule d'agents des forces sécuritaires. Oui, les yeux, car l'amphithéâtre illuminé par des dizaines de bougies et le jeu des virtuoses étaient eux aussi de vrais spectacles. Oui, il fallait regarder avec admiration comment renaissaient les chefs-d'œuvre au bout des doigts des virtuoses. Au programme, l'Orchestre de chambre « Villa de Madrid», sous la baguette de sa fondatrice, en 1985, Mercedes Padilla, et l'interprétation de onze musiciens de haute voltige dont bon nombre sont des solistes concertistes. Au second volet, l'ensemble de «Makamet», l'Association des amis de la musique. Sous la direction artistique de Dr Nawfel Ben Aïssa , professeur en musicologie et virtuose du violoncelle, la troupe s'est renforcée par la participation de trois solistes d'envergure internationale, le Dr Hassan Sharara d'Egypte, le maestro turc Baki Kamanci, le jeune et très talentueux premier violon tunisien, Naoufel Ben Mehrez. L'avant-veille, ce même ensemble avait tenu en haleine le public du Festival international de Hammamet. Musique contre obscurité Flash-back. Quelques minutes avant la montée des musiciens sur scène, de violentes rafales de sirocco s'abattirent sur l'imposant monument. Des tourbillons de sable brûlant et de fine poussière prirent subitement forme et s'engouffrèrent dans les galeries soutenant les gradins, pour aller jusqu'à de la moelle de nos os. La visibilité devint nulle et de grosses gouttes de pluie vinrent mouiller un peu les visages. Sans doute enragé contre ses percussionnistes qui, selon le programme, tentaient de l'imiter, grâce aux timbales, maître tonnerre spécifia à l'honorable assemblée qu'il restait la seule et unique référence pour ce genre de sons. Quelques minutes après et la bourrasque devint un mauvais souvenir. Tout cela s'est accompagné d'une coupure du courant électrique qui, renseignements pris, touchait toute la ville. Le temps passait, les techniciens de la Steg, la compagnie nationale de l'électricité, s'affairaient pour rétablir le courant et le public s'ennuyait. Des arbres arrachés par le vent auraient paraît-il sectionné les câbles des lignes de haute tension. Un retard de près d'une heure. Gradins et chaises étaient archicombles et tout ce beau monde, dont l'ambassadeur d'Espagne en Tunisie, végétait dans la quasi-obscurité et la plupart d'entre eux avaient allumé chacun la torche de son téléphone portable. Stoïques, ils attendaient le dénouement des événements, en perspective des moult plaisirs célestes de la grande musique. « C'est la première fois que cela nous arrive depuis la création du festival il y a de cela trente-deux ans», nous précisa M. Mabrouk Laayouni, président de l'association qui organise le festival. Il faudrait dire ici que ladite structure n'a pas les moyens de se procurer un puissant groupe électrogène pour faire face à ce genre d'incident. C'est à ce moment-là que les dirigeants de «Makamet» proposèrent l'idée géniale d'inviter les solistes de monter sur scène et de jouer des morceaux qu'ils avaient appris par cœur et sans sonorisation. Les autres musiciens devraient les accompagner. Après concertation avec les organisateurs et l'orchestre espagnol, les musiciens de «Makamet» montèrent sur scène et expliquèrent au public ce qu'ils allaient faire. L'auditoire, flegmatique, applaudit fortement l'initiative. Attentif, le public a pu ainsi écouter le son de violons pures cordes. La musique trouva enfin son chemin. Le public était aux anges. La soirée fut sauvée. Moins de 30 minutes après, le courant fut enfin rétabli et la suite du programme aussi. Ivre de musique, Sharara avait entraîné derrière lui le public, pour céder sa place à ce magicien de Baki Kamanci, retour de Sharara et enfin l'élégante prestation de Naoufel Ben Mehrez. Un défi au contretemps relevé par un public en or, les artistes et dirigeants de «Makamet» qui ont affronté l'obscurité et l'absence de la sono, les organisateurs qui ont bien réagi et aussi nos amis espagnols qui ont accepté de jouer en deuxième partie. De grands virtuoses, ces artistes madrilènes. Elégante, raffinée, le geste précis et économe, Mercedes Padilla conduisait ses onze artistes dans les monuments de la musique classique, avec de succulents duos violon-violoncelle. Une prestation longuement ovationnée par un public courageux, patient, discipliné et surtout mélomane.