Pour espérer faire tomber la désormais renommée « loi de réconciliation administrative », plusieurs membres du groupe «Manich Msamah» ont passé la nuit du 27 au 28 juillet devant le Parlement, au Bardo. Leur sit-in s'est poursuivi hier matin malgré le report de dernière minute de l'adoption de la loi en séance plénière. Notre reportage. Les revoilà dans la rue. Devant l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Pour le énième round. Ils ressortent leurs banderoles et leurs tee-shirts estampillés «Manich Msamah» (Je ne pardonnerai pas) illustrés par le marteau de la justice. Le groupe de jeunes Manich Msamah, un collectif dont le cœur bat plutôt à gauche, créé spontanément l'été 2015 dans l'objectif de faire tomber la « loi d'amnistie des corrompus », comme il aime appeler l'initiative législative de Béji Caïd Essebsi du 14 juillet 2015, a redéployé hier matin ses slogans contre le projet. L'ambiance est comme d'habitude bon enfant, musicale et festive. Des sifflets et des huées ponctuent deux injonctions répétées en boucle, d'une seule voix : « La loi ne passera pas ! Je ne pardonnerai pas ! », et encore : « Ah Ya Béji, ah ya Béji... la loi ne passera pas ! ». Puis comme un tam-tam, les sons du tambour annoncent le prochain slogan : « Toujours fidèles, fidèles au sang des martyrs ! ». « Nous ne sommes pas des casseurs ! » A 10 h du matin, à moins de vingt mètres des douze véhicules de police stationnés à proximité des manifestants, ils étaient quelques centaines rassemblés sous l'ombre des ficus face à la porte d'accès principale du Parlement. Les jeunes de Manich Msamah, mais aussi des militants des droits de l'Homme, des artistes, des activistes de la société civile, des familles de martyrs de la révolution et quelques hommes politiques de gauche. Deux ou trois députés rejoignent le sit-in des jeunes, dont Samia Abbou, vêtue du tee-shirt du groupe, Ammar Amroussia et Zied Lakhdar. Un sit-in installé ici depuis avant-hier soir, dans la nuit du 27 au 28 juillet. Au cours de la soirée, des accrochages ont eu lieu entre les forces de l'ordre et les jeunes, lorsque ceux-ci ont voulu dresser une tente à proximité de la fontaine, sur la place, qui a abrité l'été 2013 le « sit-in du départ ». « Nous ne sommes pourtant pas des casseurs ! Cette violence est inappropriée !», s'insurge la blogueuse et militante des droits de l'Homme Lina Ben Mhenni, qui fait partie du groupe. L'incident a eu lieu la veille de la séance plénière qui aurait dû être consacrée au projet après son amendement et son adoption grâce au principe du consensus entre Nida et Ennahdha le 19 juillet dernier par la Commission de la législation générale. Ce report de la plénière annoncé moins de deux heures avant l'ouverture de la séance répond à la demande du Conseil supérieur de la magistrature. Consulté par l'ARP à propos de la composition de la Commission de réconciliation prévue par le projet de loi, qui associe plusieurs juges, le CSM n'a pas pu délivrer son avis à temps pour que se réunissent les députés en plénière. Une plénière remise à septembre prochain En fin de matinée, l'information de la remise pour la prochaine rentrée parlementaire de la plénière consacrée au projet (en septembre) est confirmée par les députés sympathisants du groupe. Le bureau de l'ARP vient de l'annoncer officiellement. « Deux ans déjà que le projet est sur la table des discussions...Je pense que la majorité parlementaire ne s'attendait pas à une telle résistance et à une telle accumulation de retards avant l'adoption du projet. Les députés de la majorité étaient pourtant partis gagnants vu l'équilibre des forces politiques et l'appui de la plupart des médias à l'initiative législative présidentielle », commente Samar Tlili, une des leaders du groupe Manich Msamah. Ce nouveau report enthousiasme à moitié Lina Ben Mhenni : «Mon rêve consiste au retrait définitif de ce texte. Car il représente une catastrophe par rapport à la justice transitionnelle et aux revendications de la révolution. Deux ans à se battre...nous avons envie aujourd'hui de passer à autre chose, à construire de nouveaux projets. Mais nous sommes là. Avons-nous le choix de faire autrement ? », explique la jeune femme, qui a veillé jusqu'à très tard dans la soirée avec ses compagnons au Bardo. Halim Meddeb, juriste et fan du groupe Manich Msamah, sait que le projet finira par être adopté et qu'un recours par l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois peut se prononcer contre sa constitutionnalité, vu, dit-il, «son non-respect de l'article 148 de la loi fondamentale et son opposition à la loi organique relative à la justice transitionnelle de décembre 2013 ». Mais ce qui le préoccupe encore plus tourne autour de l'avenir des jeunes Manich Msamah. « Le groupe saura-t-il élargir ses revendications pour agir sur cette phase difficile de la transition où on enregistre le retour en force des hommes de l'ancien régime ? Saura-t-il réussir là où la plupart des partis de gauche ont échoué ? ».