Par Khaled TEBOURBI Il y a un sujet récurrent en été : celui de la présence des artistes tunisiens aux festivals internationaux. Deux thèses s'opposent : La première, relativement récente, généralement intermittente, prône l'idée que les spectacles nationaux ont «l'absolue priorité». Ce nationalisme a des accents de populisme. «L'argent de la culture revient d'abord aux artistes tunisiens», c'est ce que martèlent ses tenants. Mais quels artistes ?Cela n'est presque jamais précisé. Les «autochtones veulent s'approprier un droit», voilà tout. La seconde thèse est l'«ancienne», et ce fut la thèse fondatrice. Elle préconise, depuis toujours, une programmation liant les budgets aux dossiers. Il y avait une formule courante à propos de «Carthage» et de «Hammamet», début 1970 : «Le meilleur d'ailleurs et le meilleur d'ici». C'était la règle, jusqu'à la fin de la décennie. En s'y conformant, les premiers directeurs proposaient aux (heureux) publics et les plus beaux spectacles mondiaux et les (seules) grandes créations tunisiennes. On insistait fort sur ce point : les «seules créations tunisiennes» ! A l'époque, autrement dit, on ne badinait pas sur la destination culturelle , forcément élitiste et sélective, de nos deux grandes joutes internationales. La question du financement de l'Art et de l'aide aux artistes ne se posait jamais à ce niveau. Là, on présentait au monde le nec plus ultra des Arts et de la culture d'un pays. Son background et son potentiel d'avenir à la fois. Sa carte de visite aussi. Surtout ! Absolument rien à voir avec «l'investissement local», qui concernait, lui, la formation, l'aide à la création, le soutien à la production, la promotion, la diffusion, etc. Depuis toujours (sauf en ces dix dernières années), les grands festivals internationaux tunisiens, «Carthage» et «Hammamet», par-dessus tout, étaient destinés à incarner une image, un prestige, une appartenance à l'aire des nations éclairées. Des emblèmes universels comme Avignon, comme Salsbourg, comme Aix, Baâlabek, et, maintenant, comme «Mawazin» et Alexandrie. D'où vient que ce bel idéal est aujourd'hui contrecarré, au risque même d'être abandonné ? On a maintes fois évoqué les «causes objectives» : la mondialisation, la globalisation, l'uniformisation, la «modélisation des genres et des goûts» ; ça a sûrement joué ici. Mais ici, aussi, le «révolutionnarisme» a contribué à mettre à mal bien des acquis. Le «nationalisme» (populiste) que la presque totalité des artistes tunisiens revendique (le plus souvent à tort, sans contrepartie) à l'égard de «Carthage» et de «Hammamet», des grands festivals internationaux en général, en est la première illustration. Subitement, désormais, on fait «table rase» des principes fondateurs, de l'adéquation (obligatoire) des budgets aux dossiers, du background et du potentiel culturel du pays, de sa carte de visite mondiale, de son image et de son prestige parmi les nations. On ne veut plus d' emblèmes universels. On ne veut plus ni du «meilleur d'ailleurs» ni du «meilleur d'ici». On ne veut plus de créations : on rédige une ou deux pages de «demande» (au mieux, on en remplit cinquante, mais pour ne jamais les mettre à exécution) et on exige sa part du pécule (du «butin révolutionnaire»), de l'argent du contribuable. On se victimise, on se «populise». Simplement : on veut être assisté (!?!) Et c'est payant. Presque à tous les coups . L'establishment culturel de l'après-révolution est «sur le qui-vive». Il craint l'opinion publique et les syndicats. Les directeurs de festivals suivent «la vague», a fortiori. Bref : on préfère prévenir des «contestations» plutôt que bien juger des dossiers. Contenter tout le monde plutôt que protéger le talent et la qualité. Des exemples ?Il y en a tant. Depuis des «lustres». Et en nombre cette année. Nos amis de «Carthage» font de «l'auto-promotion», produisent des «articles élogieux», s'en remettent systématiquement aux chiffres de Youtube, exultent des sept, huit mille accourus pour tel ou telle. Quantitatif : comme au temps de Rotana. On dégringole pour tout dire, du haut même de l'échelle. Et pour la valeur «Art et culture» : visiblement, plus de soucis.