Youssef Chahed a, enfin, dévoilé la liste de ses nouveaux ministres. Une première lecture montre qu'il n'a pas obéi «aux conseils amicaux et aux pressions douces». Il a opté pour la compétence, l'expérience et le savoir-faire. Les rapports de force au sein du gouvernement sont préservés au prix toutefois d'un engagement d'un retour à l'esprit et à la lettre du Document de Carthage Finalement, Youssef Chahed a rendu sa copie, une copie qu'on va lire sur plusieurs niveaux, qu'on va disséquer longuement afin d'en découvrir les dessous et d'en saisir les objectifs. Et aussitôt que le chef du gouvernement a dévoilé les noms des nouveaux ministres et secrétaires d'Etat, ont commencé à pleuvoir les questions suivantes : — Youssef Chahed a-t-il réussi son examen en imposant les hommes qu'il veut, en remerciant ceux avec qui il ne s'entendait plus, en échappant aux pressions «douces et aussi menaçantes, voire parfois déplacées» des deux principaux partis de la coalition au pouvoir : Ennahdha et Nida Tounès ? — Comment lire l'empreinte du palais de Carthage, c'est-à-dire les conseils du président Caïd Essebsi qui déclarait dans La Presse du mercredi 6 septembre que Youssef Chahed doit trouver des hommes avec qui il peut dialoguer, qui ont le sens de l'Etat et qui veulent servir la Tunisie et rien que la Tunisie. Et ces hommes se trouvent au palais de Carthage ou dans les institutions dépendant de la présidence de la République comme l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites) qui cède son directeur, Hatem Ben Salem, au ministère de l'Education et Slim Chaker au ministère de la Santé? — Youssef Chahed a-t-il marqué un nouveau point dans sa guerre contre la corruption et contre les forces qui prétendent avoir sous leur coupe le ministère de l'Intérieur et certains de ses hauts responsables, lesquels responsables «refusent d'ouvrir certains dossiers compromettants» ? — Comment Ennahdha qui voulait limiter les dégâts au maximum en maintenant ses ministres «qui ont réussi là où les autres ont échoué» va-t-il réagir, surtout qu'il a perdu le grand ministère du Commerce? Toutefois, il s'est vu octroyer un nouveau poste taillé à la mesure de Taoufik Rajhi pour suivre les dossiers économiques (les grandes réformes) comme à l'époque de Habib Essid quand Nejmeddine Hamrouni, l'un de ses économistes les plus brillants, occupait pratiquement le même poste. Quelles significations peut porter la promotion de Mabrouk Kourchid qui porte désormais le titre de ministre des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières et agira à l'avenir comme «l'huissier de justice n°1 de l'Etat» pour récupérer les centaines de milliers d'hectares de terres domaniales encore sous la propriété de ceux qui les exploitent à l'insu de l'Etat, sans oublier les biens immobiliers que Kourchid n'a pas oubliés et auxquels il va consacrer une partie de son énergie, mais cette fois en sa qualité de ministre à pleins pouvoirs ? Comment comprendre le retour de Abdelkrim Zbidi au ministère de la Défense et de Ridha Chalghoum au ministère des Finances, le poste qu'il occupait jusqu'au vendredi 14 janvier 2011, quand le président Ben Ali a pris la décision de partir en Arabie Saoudite ? L'empreinte de Carthage Autant de questions, d'interrogations et de tentatives de lectures qui se sont imposées, hier, à la découverte de la copie rendue par Youssef Chahed, «le chef du gouvernement jeune, ambitieux et aussi compétent, mais aussi tenu de choisir une équipe ministérielle homogène qui lui facilite la réalisation de ce qu'on lui demande», comme le précisait, hier, le chef de l'Etat dans l'interview accordée à Assahafa et à La Presse. D'abord, avec l'entrée au gouvernement de Abdelkrim Zbidi, Slim Chaker, Hatem Ben Salem et Ridha Chalghoum, l'empreinte du palais de Carthage est on ne peut plus claire et transparente. Ces personnalités qui ont fait valoir leur compétence et leur savoir-faire auprès du chef de l'Etat à Carthage et dont certains bénéficient d'une expérience avérée et d'une intégrité qualifiée à l'époque de Ben Ali passent au palais de La Kasbah avec un programme des plus simples et limpides à cette époque où la simplicité et l'intégrité sont devenues une denrée rare : corriger les erreurs commises au ministère de l'Education, préparer une loi de finances qu'on ne sera pas obligé de revoir et de revisiter durant un mois ou deux parce qu'incomplète ou incompréhensible, arrêter la gangrène corruption et trafic qui règne au ministère de la Santé et dans les policliniques de l'Etat, et enfin permettre à l'armée d'assurer la protection effective et quotidienne des sites pétroliers et des installations stratégiques dans le sud du pays où les sit-inneurs font la loi. L'esprit du Pacte de Carthage est palpable à travers les noms des nouveaux ministres dans le sens de la compétence, de l'expérience, de l'intégrité et surtout au niveau de la réputation dont ils se prévalent aux plans national et international. Et quand on parle du Pacte de Carthage, on ne se limite pas uniquement aux partis politiques qui l'ont signé. On fait aussi allusion aux organisations professionnelles qui y ont apposé leurs signatures et qui continuent à le soutenir. En tête de ces organisations figure l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) dont le secrétaire général Noureddine Taboubi martèle quotidiennement: «Le remaniement doit se fonder sur les critères de compétence, d'intégrité et de professionnalisme, loin de la politique des quotes-parts et des calculs partisans étriqués». Et quand Hafedh Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi exerçaient toutes les pressions possibles sur Youssef Chahed et lui soumettaient les listes de leurs poulains, Noureddine Taboubi et ses adjoints éteignaient les incendies dans les régions dites défavorisées et répétaient quotidiennement que l'Ugtt est toujours attachée au Document de Carthage et à ses objectifs initiaux. Sans prétendre tout savoir sur le remaniement et découvrir ses dessous, l'on peut avancer, pour le moment, que Youssef Chahed a réussi l'épreuve du choix des hommes qu'il faut en attendant qu'ils passent à l'action et confirment ce que l'on attend d'eux. Subsiste toujours une petite observation : pourquoi avoir maintenu Riadh Mouakhar et Mehdi Ben Gharbia au gouvernement en dépit de tous les griefs, vrais ou fabriqués, qu'on leur porte?